Quand la double ligne de freins part en roue libre !
TNC le 16/07/2025 à 05:31
La réglementation européenne impose, depuis le 1er janvier 2025, des systèmes de freinage double ligne sur tous les matériels agricoles neufs. Si l’objectif est louable - renforcer la sécurité -, la mise en œuvre, elle, sème la pagaille. Incompatibilités techniques, absence de solutions transitoires, bricolages risqués : sur le terrain, la filière est à bout de souffle. Derrière cette réforme, c’est près d’un milliard d’euros de matériel qui pourrait être relégué au garage.
Depuis le 1er janvier 2025, une nouvelle obligation européenne impose que tous les tracteurs neufs ainsi que les matériels agricoles remorqués (remorques, tonnes à lisier, épandeurs, etc.) soient équipés d’un système de freinage à double ligne, hydraulique ou pneumatique. L’objectif est clair : améliorer la sécurité sur route comme au champ, en réduisant les distances de freinage, en adaptant le freinage à la charge, ou encore en bloquant le système en cas de rupture d’attelage.
Mais sur le terrain, cette réglementation bien intentionnée a créé un véritable casse-tête technique et économique. La raison ? L’incompatibilité entre anciens et nouveaux matériels.
Un parc agricole pris en étau
Les tracteurs à simple ligne hydraulique, en particulier ceux mis en circulation avant 2018, ne peuvent techniquement pas freiner un outil équipé d’un système à double ligne. Et à l’inverse, un tracteur neuf à double ligne ne peut pas tracter du matériel ancien en simple ligne. Pire encore, les deux technologies de double ligne — hydraulique et pneumatique – ne sont même pas compatibles entre elles.
Résultat : certains agriculteurs, par manque de solutions techniques ou de moyens, se retrouvent à tracter sans frein ou à bricoler des montages non homologués. Ce qui, de fait, engendre des risques majeurs sur la sécurité : blocages des roues, échauffements des pneus, perte de contrôle…
Une transition mal accompagnée
Plus de 800 000 matériels agricoles en circulation sont encore équipés d’une simple ligne et sont donc potentiellement concernés par ce problème. Leur valeur marchande pourrait chuter brutalement, Groupama estime autour d’un milliard d’euros de pertes. C’est sans compter que la procédure pour homologuer un kit de compatibilité est lourde, lente et coûte jusqu’à 13 500 €.
Ce qui freine considérablement les initiatives de mise en conformité, notamment dans les exploitations qui utilisent encore beaucoup de matériel ancien ou mutualisé via les Cuma.
Des propositions concrètes, mais encore en attente
Face à cette impasse, la FNCuma propose trois axes pour rendre cette transition plus acceptable sans mettre en péril la sécurité ni la rentabilité des exploitations :
- Maintenir la double ligne hydraulique smart : ce système intelligent permet de détecter automatiquement si l’outil remorqué est en simple ou double ligne et d’adapter la pression de freinage en conséquence. C’est un compromis technique qui permettrait aux tracteurs neufs de rester compatibles avec le matériel existant. La FNCuma demande donc une révision du règlement européen pour continuer à autoriser cette technologie au-delà de 2025.
- Créer un cadre clair pour le rétrofit (montage sur du matériel existant) : il s’agirait de permettre l’installation de systèmes de freinage double ligne (hydrauliques ou pneumatiques) sur les tracteurs d’occasion, sans passer par une re-homologation coûteuse et incertaine. Cela inclurait aussi la possibilité d’une réception à titre isolé ; pour valider les matériels modifiés et garantir leur conformité en toute sécurité.
- Simplifier l’homologation des kits de compatibilité : l’objectif est de permettre aux industriels de proposer des kits standardisés, faciles à monter, et homologués en amont. Cela passe aussi par une meilleure coordination entre les ministères concernés pour accélérer les démarches administratives.
Une question de bon sens et de timing mais pas de rétropédalage
Les agriculteurs ne refusent pas le progrès ni la sécurité. Mais imposer une telle rupture sans laisser le temps ni les moyens d’adaptation revient à créer plus de problèmes que de solutions. Le risque est grand de pousser certains à des pratiques risquées faute de choix, alors même que des alternatives existent.
Le règlement européen 2025/1117 marque un tournant important en reconnaissant explicitement la présence, encore massive, de véhicules tractés équipés de systèmes de freinage à simple ligne. L’objectif est de prévenir les risques d’accidents liés à des branchements incorrects et de garantir le bon fonctionnement des outils en simple ligne lorsqu’ils sont attelés à des tracteurs modernes à double ligne.
Le texte exige que le tracteur soit capable de détecter automatiquement le type de connexion utilisé — simple ou double ligne hydraulique — et d’ajuster la pression de service en conséquence. Pour le freinage monoligne hydraulique, cette pression doit se situer entre 100 et 150 bars.
Les autorités maintiennent l’interdiction de mise sur le marché, d’immatriculation ou de mise en service de tracteurs neufs équipés uniquement d’un système simple ligne. Cette évolution vise à faciliter la transition technique sans dévier de la ligne politique : imposer la double ligne comme standard de sécurité pour les matériels agricoles neufs.
Des situations d’incompatibilité subsistent, notamment pour les tracteurs anciens. Rendre possible l’installation d’un kit rétrofit sur les tracteurs d’occasion permettrait d’exploiter pleinement les outils neufs déjà équipés de freinage double ligne. Sujet pour l’heure en suspens mais il était temps que la réglementation fasse preuve de pragmatisme, sans quoi, c’est toute une partie du parc matériel français qui risquait de partir… en roue libre.