L’agrivoltaïsme, une « opportunité pour augmenter la souveraineté alimentaire »
TNC le 24/06/2025 à 17:54
Dans un contexte géopolitique qui incite à renforcer la production agricole, sans pour autant ralentir la nécessaire transition énergétique, peut-on produire efficacement de l’énergie à partir des terres agricoles ?
S’il est admis que des champs de panneaux photovoltaïques ne remplaceront pas les champs de blé, la question de la compétition entre production énergétique et production agricole reste d’actualité malgré la grande variété de systèmes qui existent aujourd’hui (panneaux mobiles, inclinés, semi-transparents…),
De l’énergie à partir de l’agriculture : quelle stratégie ?
Christian Dupraz, chercheur à l’Inrae, est le premier à avoir utilisé le terme « agrivoltaïsme ». Pour ce pionnier de la recherche dans ce domaine, l’efficacité de l’agrivoltaïsme en matière de production énergétique n’est plus à démontrer. Aujourd’hui, générer de l’énergie à partir de l’agriculture passe majoritairement par les cultures dédiées aux biocarburants, rapelle-t-il lors de la séance de l’Académie d’agriculture, le 4 juin. Avec 1 ha de colza, on peut faire rouler un véhicule diesel pendant 20 000 km. Avec 1 ha de cultures dédiées de biomasse, soit méthanisées soit transformées en carburant liquide pour alimenter un moteur thermique, le véhicule peut rouler 60 000 km.
Si l’on passe par la filière photovoltaïque, avec un hectare de panneaux qui permettent ensuite de fabriquer des carburants de synthèse par l’électricité, on peut en revanche rouler 450 000 km. Si on utilise l’électricité de cet hectare de panneaux en tant que pile à combustible, le véhicule thermique peut rouler jusqu’à 900 000 km. Mais si l’on utilise directement l’électricité des panneaux photovoltaïques pour faire rouler un véhicule électrique, alors on peut rouler 3 250 000 km avec un ha.
« Il suffit de 20 000 ha de photovoltaïque pour produire de l’énergie permettant de faire la même distance de déplacement que le million d’hectares de cultures énergétiques que nous avons aujourd’hui en France. L’agrivoltaïque qui va maintenir la production agricole, certes un peu réduite, est donc une opportunité d’augmenter notre souveraineté alimentaire car on va pouvoir à terme remplacer une partie des agrocarburants par une filière électrique qui va permettre de récupérer beaucoup d’hectares de cultures », explique le chercheur.
L’enjeu de la gestion de l’ombre
Les travaux de recherche ont démontré la plus-value productive d’une ferme qui mélange panneaux photovoltaïques et cultures vis-à-vis d’une autre qui sépare les deux activités (agriculture d’un côté, photovoltaïque au sol de l’autre).
Néanmoins, des ajustements sont nécessaires pour un résultat satisfaisant. Il faut par exemple privilégier des variétés qui ne sont pas en stratégie d’évitement de l’ombre, pour éviter à la plante de s’épuiser dans une recherche illusoire du soleil, explique Christian Dupraz. De même, l’impact de l’ombre est plus ou moins négatif en fonction des stades (végétatif ou reproducteur) ou à certaines étapes. Ainsi, le tallage des céréales, une étape clé qui se déroule en hiver lorsque le soleil est très faible, s’avère encore plus délicat en système agrivoltaïque.
Baisse de rendement et revenu agricole
Le problème majeur, c’est que les marges nettes agricoles sont faibles sur la plupart des productions, explique le chercheur. Donc « dès que l’on baisse le rendement, on peut très rapidement tomber dans des cultures déficitaires », ajoute-t-il. Sans compter que la loi française exige un rendement agricole maintenu à 90 % pour un projet agrivoltaïque.
En parallèle, sans régulation, il existe « un risque majeur d’abandon de l’agriculture, car les revenus électriques écrasent les revenus agricoles », ajoute Christian Dupraz. Il apparaît également nécessaire de « partager le gâteau agrivoltaïque », précise-t-il, car un objectif français réaliste serait de 100 000 ha de photovoltaïque. Or actuellement, plus d’un million d’hectares sont pré-contractualisés. « Il y aura beaucoup de déçus, de frustrés, de jaloux », constate le chercheur, pour qui il semble important de « mutualiser la rente pour qu’elle ne soit pas confisquée ». Une mutualisation indispensable également pour faciliter l’acceptabilité sociétale de ces projets. D’autres pistes existent en ce sens, comme la limitation des loyers agrivoltaïques, ou encore une limitation de la taille des projets.