Vignes bordelaises : défaillance du dispositif antigrêle en plus de la crise
AFP le 18/06/2025 à 09:14
Dans un vignoble bordelais déjà en crise, les victimes de récents orages dévastateurs déplorent une « défaillance » des dispositifs mutualisés de protection antigrêle depuis un retrait « brutal » de subventions publiques.
Dans la nuit de vendredi à samedi, des orages très localisés ont détruit des parcelles de plusieurs villages des AOC Graves et Entre-deux-mers, ainsi que de nombreuses toitures d’habitations et de bâtiments, selon l’interprofession. « C’est une surface faible au global (le vignoble bordelais s’étend sur 95 000 hectares, NDLR) mais une véritable catastrophe pour certains viticulteurs touchés », commente-t-on au Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux.
Pour Amandine Noriega, installée à Porte-de-Benauge, à 35 km au sud-est de la capitale girondine, « le travail d’une année a été mis à terre en à peine huit minutes de grêle… Le millésime suivant va être aussi compromis ». « C’est le coup de trop pour beaucoup d’entre nous, on ne s’en relèvera pas », ajoute cette propriétaire d’une exploitation familiale placée en redressement judiciaire, comme de nombreux domaines « qui n’ont plus d’argent pour s’assurer » contre les intempéries.
« Le travail d’une année mis à terre en 8 min »
Au premier trimestre 2025, le nombre de défaillances dans le secteur viticole girondin a bondi de 64 % sur un an, contre une hausse de 15 % pour l’ensemble des entreprises de Nouvelle-Aquitaine. En crise de surproduction, le premier vignoble AOC de France a arraché depuis deux ans quelque 18 000 hectares de vignes, dans le cadre d’un plan sanitaire primé, pour réduire les volumes et faire remonter les prix.
À ces difficultés structurelles s’ajoutent les caprices de la météo, rendus plus « intenses » par le dérèglement climatique, et contre lesquels le système de protection est jugé « défaillant » et « fragile » par des viticulteurs depuis l’assèchement de son financement public.
Créée sous l’égide de l’État à la fin des années 1950, l’Association départementale d’étude et de lutte des flux atmosphériques (Adelfa 33) dispose d’un réseau de 130 générateurs antigrêle. Maillant tout le territoire girondin, ou presque, ces machines disséminent des solutions de iodure d’argent dans le ciel en amont de chaque orage, pour diminuer la taille des grêlons dans les nuages qui se déplacent sur des dizaines de kilomètres avant la tempête.
Trou à combler
Mais en 2024, la « chute brutale » des aides du conseil départemental, de 165 000 à 20 000 euros annuels, a « déstabilisé » l’association, explique à l’AFP son président et viticulteur Dominique Fédieu. Les seuils d’alerte ont été rehaussés pour réduire le recours aux pulvérisations et faire des économies sur la coûteuse solution chimique, et il manque toujours des générateurs dans certaines zones clés du vignoble, détaille-t-il, en s’inquiétant aussi du vieillissement des bénévoles chargés de l’entretien du dispositif.
Le dispositif a été déclenché durant le week-end, mais ces « insuffisances » dans le réseau n’ont pu protéger les zones frappées durement par ces orages, explique-t-il. Le conseil départemental, « pleinement conscient des difficultés » de l’Adelfa, fait valoir la « chute vertigineuse » de ses recettes, avec la fonte des droits de mutation sur fond de crise immobilière, et à la « hausse des dépenses imposée nationalement ». La collectivité a rehaussé légèrement (+ 15 000 euros) sa participation cette année, sans toutefois combler le trou.
Pour financer son système antigrêle, la profession cherche de nouvelles pistes, évoquant pêle-mêle la participation de châteaux prestigieux et dotés d’outils de protection privés, l’engagement d’autres collectivités locales, ou bien une contribution des assureurs… Seul le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine s’est engagé clairement à ce jour.
« La viticulture est en délicatesse économique… On n’a pas les moyens de financer l’intégralité d’une protection qui bénéfice à tout le monde », alerte le président de l’AOC Entre-deux-Mers, David Labat. « Notre budget, c’est un investissement dérisoire par rapport aux dégâts à rembourser », abonde M. Fédieu qui se dit « surpris » par « la courte vue » des compagnies d’assurance, qui refusent selon lui de jouer « la prévention » en amont, malgré les « coûts phénoménaux » engendrés par la destruction des parcelles.