Prévenir le mal-être des agriculteurs avant l’installation


TNC le 18/06/2025 à 04:47
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Quel travail va impliquer, au quotidien, l'atteinte des objectifs fixés ? (© Adobe Stock)

On parle de plus en plus du mal-être en agriculture et de sa prévention, pour les agriculteurs en cours de carrière, rarement pour les jeunes installés, voire les personnes en cours d’installation. Des périodes pleines de questionnement, d’inquiétude, de stress et de difficultés potentielles, sur le plan économique et humain. Mieux vaut donc les prévenir dès le parcours d’accompagnement et même en formation initiale.

Peu d’agriculteurs pensent le contraire : le parcours pour s’installer en agriculture est complexe, avec une multitude d’étapes et d’acteurs, et ne laisse que peu de temps pour se poser et « s’interroger notamment sur l’impact de son projet en termes de travail, autrement dit sur son coût humain », pointe Andy Sinili, conseillère nationale en prévention des risques professionnels à la CCMSA. Cette question est, de même, rarement évoquée dans les établissements agricoles, que ce soit au lycée, en BTS ou école d’ingénieur.

La faisabilité est abordée à travers le choix du système et la cohérence globale de l’exploitation, donc plutôt sous les angles technique et économiques. « Cette approche est certes nécessaire mais pas suffisante pour préparer le jeune à anticiper la manière dont cela va impacter son quotidien et pourrait remettre en cause la pérennité de son installation », met-elle en garde, invitant à se demander « quel travail va imposer, tous les jours, l’atteinte des objectifs de rentabilité et viabilité fixés ». Il s’agit d’étudier le « coût physique, psychologique, cognitif » du projet d’installation agricole, sinon « les résultats puis la motivation voire la passion pourraient s’altérer ».

Le travail, une notion difficile à appréhender…

Or le travail n’est pas facile à estimer. Il dépend d’éléments spécifiques à chaque ferme et est perçu de manière très différente selon les producteurs : « tous ne mettent pas les mêmes enjeux à la réalisation d’une même tâche ». Par exemple, le temps total consacré au paillage des vaches peut varier en fonction de la qualité de la paille, du matériel, de la conception de la stabulation et du lieu de stockage et de la fréquence selon les exigences de l’éleveur.

« En outre, le temps passé à réaliser une tâche n’indique pas si elle est supportable ou non : un travail peut être rapide et pénible, et avoir des effets sur la santé., fait remarquer Andy Sinili. Pas plus qu’atteindre un objectif ne renseigne sur le coût humain mobilisé. » Selon elle, le travail purement manuel n’existe pas, même en agriculture. Il y a toujours une dimension psychologique qui conditionne la performance. Et le plus pénalisant n’est pas forcément le bruit ou le port de charges lourdes, mais l’organisation du travail, moins visible, notamment la diffusion des consignes et des procédures.

… et peu abordée dans le parcours d’installation

La conseillère de la mutualité sociale agricole a observé plusieurs études prévisionnelles à l’installation accompagnées par le CER France. « Les porteurs de projets arrivent avec un dossier assez lacunaire, ils ont du mal à définir ce qu’ils désirent mais ont envie d’aller vite. Un business plan est certes établi mais sans lister toutes les tâches. Le disponible est passé en revue – surfaces, cheptel, ETP, sorties (intrants, investissements, fermages, etc.), entrées (ventes, primes, etc.)… – et le logiciel sort des chiffres verts ou rouges. Dans le second cas, le comptable va faire varier quantitativement les ressources, en jouant sur la surface entre autres, ou essayer de rééquilibrer en créant de l’amortissement. Les conseils sont d’ordre économique et réglementaire. Aucune projection ou presque sur le travail. »

Se demander comme son projet va impacter son quotidien.
Autrement dit : étudier son coût humain, physique et psychologique.

Il ne s’agit pas de blâmer les organismes qui encadrent les futurs et jeunes agriculteurs, tient-elle à préciser, mais de responsabiliser les candidats à l’installation et ceux installés depuis peu, qui doivent identifier leurs attentes, leurs ressources mais également leurs limites. Il faut qu’ils soient maîtres de leur projet et que celui-ci soit cohérent avec le modèle économique, agronomique et réglementaire envisagé, et ses implications au niveau du travail pour qu’il reste soutenable, vivable. L’accompagnement doit les y aider.

Facteurs de risques en hausse

D’autant qu’ils sont confrontés de plus en plus à un contexte économique, environnemental, réglementaire, climatique, sanitaire, sociétal compliqué et fluctuant. Auquel s’ajoutent les pressions familiales et des autres acteurs du monde agricole, du foncier, etc. En découlent des difficultés et du mal-être : baisse de motivation, d’énergie, de passion, état de la ferme qui se dégrade, conflits au sein du collectif de travail… avec des incidences fortes sur la famille, les sphères professionnelles et personnelles étant très imbriquées en agriculture.

Les anticiper permettrait de limiter les dégâts. Andy Sinili prend l’exemple d’un jeune installé en agriculture qui, après sa troisième année d’activité, voulait augmenter son cheptel pour accroître son revenu et avait donc besoin de plus de surfaces pour alimenter ses animaux. Or les terres qu’ils pouvaient reprendre étaient loin, petites, morcelées et en pente. Il devait les remettre en état (pose de clôture, d’abreuvoirs et d’auges), investir dans du matériel adapté, réorganiser l’assolement (en fonction du type de prairies en particulier). « Il n’avait pas prévu tout cela !, lance-t-elle. Finalement, il s’est dit que ce n’est pas comme ça qu’il souhaitait travailler : se tuer à la tâche pour gagner juste un peu plus ? Notre mission de prévention consiste à alerter sur ces risques. »

La prévention par la formation

Comment prévenir les difficultés et le mal-être des jeunes agriculteurs et futurs installés ? Car les solutions existantes – le service d’écoute téléphonique Agri’Écoute, l’aide au répit (vacances, loisirs, groupes de parole, soutien psychologique, séances de sophrologie, programme « avenir en soi », « parcours confiance »…) et le réseau Sentinelles de la MSA, bénévoles du milieu agricole formés repérant, écoutant et orientant les agriculteurs ayant ce type de soucis, ou le dispositif Agridiff regroupant diverses organisations agricoles qui assure également un repérage précoce et propose un accompagnement, ou encore les cellules Réagir pilotées par les chambres d’agriculture, Solidarité paysans…) –, non spécifiques à ce public, interviennent quand les problèmes et/ou le mal-être sont là, avec parfois déjà des conséquences pour la ferme, l’exploitant, ses associés/salariés, ses proches.

Projeter les modalités de réalisation concrète du projet.

Or par définition, la prévention doit commencer avant, auprès de l’ensemble des producteurs, avec une sensibilisation particulière pour les jeunes agriculteurs mais aussi pendant le parcours d’installation et dans l’enseignement agricole. Sachant que la MSA ne peut agir que si l’on est installé. « Il faudrait que ça évolue », exhorte Andy Sinili. Ce qui implique de former à cette prévention des risques professionnels les structures accompagnant les futurs installés et les équipes pédagogiques des établissements, mais également les maîtres de stage et d’apprentissage. L’important est « d’adopter une approche globale et systémique intégrant les aspects économiques, agronomiques et humains. Associer ces trois dimensions est indispensable pour la durabilité de l’exploitation ».

Sensibiliser les cédants

Les conseillers entourant les futurs agriculteurs doivent les aider à évaluer et projeter les modalités de réalisation concrète de leur projet. Et tester sa résilience à travers une grande variété de situations, via des simulations technico-économiques allant jusqu’aux modes de fonctionnement organisationnel, aux conditions et au temps de travail, qui font partie de la gestion d’une exploitation. « Les synergies entre les divers partenaires (conseillers techniques, de gestion, banques, préventeurs, travailleurs sociaux…) doivent aussi être renforcées afin de construire un processus global d’évaluation de la vivabilité d’une installation agricole », suggère la conseillère de la CCMSA.

La formation initiale étant déjà dense, elle prône le développement d’une offre de formation continue adaptée, et d’inclure dans celles qui existent davantage de notions de qualité de vie. Par ailleurs, des actions sont à mener durant le parcours de transmission, auprès des cédants notamment. Améliorer l’attractivité et la valeur de la ferme (on parle ici des facteurs de production, pas du prix de cession) garantirait, au successeur, une reprise plus sereine. Pourquoi pas organiser des médiations entre cédants et repreneurs, axées sur le travail ?

Source : webinaire « Prévenir le mal-être en agriculture dès la formation initiale et le parcours à l’installation » du cycle « Pause travail en agriculture » de l’idele. Il s’appuie sur le travail « Constats et perspectives pour prévenir les troubles psycho-sociaux lors de l’accompagnement à l’installation des porteurs de projet en agriculture » mené, quand elle exerçait dans le Puy-de-Dôme, par Andy Sinili, conseillère nationale en prévention des risques professionnels à la CCMSA (direction de la santé et de la sécurité au travail) en charge de l’enseignement agricole, en collaboration avec Nadège Mallet, conseillère en prévention à la MSA Auvergne en Haute-Loire.