Élevage bovin : une meilleure qualité de vie en bio ?
TNC le 26/05/2025 à 11:26
Les éleveurs laitiers et allaitants bio sont-ils mieux dans leurs bottes, plus heureux dans leur métier, car plus vivable, qu’en conventionnel ? Si oui, comment l’expliquer ? Plusieurs producteurs, interrogés par la Fnab dans le cadre du projet Beebbio, livrent leurs visions et pratiques, pas toutes spécifiques à ce mode de production, améliorant la qualité de vie au travail pour que celle-ci soit un levier favorisant le renouvellement des générations en élevage.
« Pourquoi les éleveurs bovins bio, laitiers comme allaitants, sont-ils sensibles à la qualité de vie au travail en élevage ? », questionne Anne Haegelin, de la Frab Aura (Fédération régionale de l’agriculture biologique d’Auvergne-Rhône-Alpes). « Peut-être parce que leur environnement est l’une de leurs principales préoccupations, et qu’elle n’est pas sans lien avec leur cadre de travail qu’ils s’efforcent de rendre agréable », analyse-t-elle.
Ajoutant : « Ce mode de production est propice à la réflexion, au questionnement, aux évolutions, voire à la remise en cause par rapport à la cohérence du système, au fonctionnement global de l’exploitation, aux valeurs des agriculteurs, dans une optique de performance environnementale, mais aussi technique, économique, organisationnelle. C’est pourquoi le travail est facilement abordé. »
Le travail facilement abordé
Alors la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique), via le projet Beebbio (1), a voulu comprendre en quoi le modèle bio favorise le bien-être au travail et quelles sont les pratiques vertueuses rendant le métier d’éleveur plus vivable, et susceptibles de faciliter le renouvellement des générations en élevage.
Un enjeu en bio comme en conventionnel, à travers l’amélioration des conditions de travail, et derrière celle de la viabilité et de la vivabilité des installations en bovin lait comme viande. « Les jeunes sont bien plus exigeants que leurs aînés sur ces questions », fait remarquer Raphaëlle Delporte, de Bio en Hauts-de-France.
(1) mené avec plusieurs régions de son réseau, avec le soutien de l’Anact, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, et finalisé fin 2023-début 2024.
Des éleveurs en Gaec avec salariés
Quoi de mieux que d’interroger les producteurs eux-mêmes, notamment ceux accordant de l’importance à ce sujet, et qui se fixent des objectifs en la matière et mettent en place des actions concrètes ? Ce qu’a fait l’organisme à travers des entretiens individuels, des groupes de discussion et des visites de ferme, dans quatre régions différentes, auprès de profils diversifiés : issus ou non du milieu agricole, en début, milieu, fin de carrière…
« Âgés de 37-38 ans en moyenne, la plupart sont en société, en Gaec à deux associés principalement, et les trois quarts embauchent un ou des salariés. Certains sont plus « entrepreneurs » et cherchent à être performants économiquement, d’autres « militants », soucieux de la préservation de l’environnement, de la biodiversité et de la ressource en eau, d’autres encore davantage « éleveurs », attachés au bien-être animal », détaille Raphaëlle Delporte.
Organisation du travail adaptée aux ressources humaines
Premier élément, favorable à la qualité de vie au travail, ressortant des enquêtes : dans ces élevages en AB, l’organisation du travail est adaptée aux ressources humaines. La répartition des tâches, d’abord, s’effectue « naturellement, selon les appétences de chacun, mais tout le monde doit être remplaçable et autonome pour l’ensemble des travaux afin de limiter les risques en cas d’absence d’un membre du collectif de travail ».
Le cadre de travail s’avère « relativement fixe » pour assurer une stabilité et sécuriser chaque associé et salarié, d’autant plus lorsqu’ils sont nombreux. « Le travail est planifié et même saisonné ». Travailler à plusieurs permet, évidemment, d’avoir du temps libre, de réduire l’astreinte et de prendre des week-ends et des vacances. « Bien sûr, les besoins évoluent au cours de la carrière, de la vie, familiale en particulier », précise Raphaëlle Delporte.
« Chez les producteurs enquêtés, ils tendent à augmenter, de deux semaines et quelques week-ends prolongés au début jusqu’à six semaines pour ceux qui sont en place depuis longtemps, sur des périodes d’activité creuses cependant. » En termes de jours congés, les situations sont diverses : certains choisissent l’égalité parfaite au sein de l’équipe et d’autres non.
Au sein du collectif, de manière générale, il est possible d’échanger des idées dans de multiples domaines, donc sur le travail entre autres, mais également de partager des valeurs. Quant au salariat, même s’il est répandu dans l’échantillon, il ne fait pas l’unanimité. Les uns le considèrent comme « un confort de vie », les autres comme « une charge mentale supplémentaire liée surtout à sa gestion ».
J’adapte ma ferme à ma vie et à mon bien-être.
Enfin, citons quelques verbatims, entendus dans cette partie de l’analyse, plutôt éloquents quant à la perception du travail dans les élevages biologiques rencontrés : « Il est essentiel, pour moi, d’être sur le même rythme que mes proches, de ne pas vivre en dédale » ; « Nous voulions un projet qui tourne autour de notre vie de famille et pas l’inverse ! Je vois mes enfants tous les jours, je suis disponible pour eux, je peux prendre un rendez-vous sur mon temps de travail et rattraper plus tard » ; « J’adapte ma ferme à ma vie, à mon bien-être ».
Des systèmes dimensionnés en conséquence
L’approche est ici plus technique. « Les fermes observées sont dans une démarche d’amélioration continue et d’adaptation permanente aux besoins, en termes de travail entre autres, lesquels sont en constante évolution. Les éleveurs agissent sur leur système et opèrent des changements dès l’installation, puis régulièrement, pour adapter les pratiques aux objectifs, gagner en autonomie, réduire les charges, accroître les performances techniques, économiques, environnementales, progresser sur le bien-être animal, le confort de travail », constate Raphaëlle Delporte.
Et ces modifications, qui sont plutôt d’ordre technique, impactent directement la qualité de vie : plus de temps libre, charge mentale allégée, meilleures conditions de travail, etc. « Ces éleveurs sont fiers de leur système, en accord avec leurs valeurs. » Ils essaient de le simplifier au maximum en diminuant les tâches à réaliser, de le rendre adaptable, économe et autonome. Ils vantent, par ailleurs, la liberté décisionnelle et l’indépendance dont ils bénéficient, ayant à la fois des impacts positifs sur leur système, parce qu’ils peuvent tester plein de choses, et sur leur équilibre vie pro/perso.
En 2-3 ans : 6 h de travail en moins par semaine !
Parmi les pratiques adoptées :
– la monotraite avec, à la clé, un gain de temps substantiel, des vaches qui perdent moins en état corporel, ainsi qu’un lait et des carcasses mieux valorisés ;
– les vêlages groupés qui simplifient le travail, font gagner du temps et augmentent la productivité ;
– les vaches nourrices bénéfiques en termes de temps, de croissance et d’efficacité d’utilisation du pâturage ;
– les investissements dans du matériel ou l’aménagement d’espaces de travail adaptés, ergonomiques.
En outre, le moindre recours aux traitements sanitaires est autant de temps gagné. La maximisation du pâturage, elle, a un effet bénéfique supplémentaire sur le cadre de vie. Au niveau économique enfin, bon nombre producteurs mettent en avant l’intérêt d’être au micro-BA (bénéfice agricole) pour contenir le volume de production et donc le travail.
Notons quelques propos recueillis ici aussi : « Tous les ans, on grapille, l’objectif est de travailler le moins possible. On a arrêté le maïs, diminuer fortement le méteil, les génisses sont dehors toute l’année et on va faire de la monotraite cet été » ; « En 2-3 ans, j’ai gagné 6 h/semaine en simplifiant au maximum » ; « Avant cette réflexion, j’étais incapable de dire combien d’heures je faisais. Avec la monotraite, on sentait qu’on avait moins de travail. Sur le papier, c’est flagrant. »
Contribue, par ailleurs, au bien-être au travail le fait que le label AB soit une reconnaissance des pratiques favorables à l’environnement, la biodiversité, la ressource en eau, l’entretien des paysages, le bien-être animal…, mises en œuvre dans les élevages, et de la qualité des produits qui en sortent. « Meilleures conditions de travail, réappropriation du système, redonner du sens au métier et même le redécouvrir, création de liens, jusqu’à l’amélioration de l’EBE… aucun des éleveurs ayant participé à cette étude n’envisage d’exercer sa profession autrement qu’en bio », conclut Raphaëlle Delporte.