L’Union européenne prête à taxer les engrais russes dès juillet


AFP le 22/05/2025 à 09:50
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L'Union européenne a importé 6,2 millions de tonnes d'engrais russes en 2024. (© Adobe Stock)

Le Parlement européen doit approuver jeudi une surtaxation des millions de tonnes d'engrais importées de Russie chaque année en Europe, malgré les craintes des agriculteurs d'une envolée des prix mondiaux, dans ce qui apparaît comme une étape de plus dans le bras de fer entre Bruxelles et Moscou.

Le projet prévoit la mise en place dès juillet de taxes douanières qui doivent augmenter progressivement durant trois ans, jusqu’à couper le robinet des fertilisants azotés venus de Russie et de son allié bélarusse.

Plus de trois ans après l’invasion de l’Ukraine, il faut cesser « d’alimenter la machine de guerre » de Vladimir Poutine et « limiter la dépendance des agriculteurs européens à l’égard des engrais russes », revendique l’eurodéputée lettone Inese Vaidere (PPE, droite), rapporteure de ce texte.

L’Union européenne a importé 6,2 millions de tonnes d’engrais russes en 2024 et déjà près de 2,5 millions depuis début 2025, soit un quart de ses importations en la matière.

« L’origine russe est la plus compétitive en termes de prix » et la logistique de livraisons est « bien établie », indique Dominique Dejonckheere, cadre du Copa-Cogeca, l’organisation des syndicats agricoles européens.

Avec les surtaxes, l’Europe veut empêcher la Russie de passer par ses engrais pour exporter son gaz naturel, matière première principale de fabrication de ces fertilisants azotés.

Bruxelles vise surtout une augmentation de la production européenne, pour davantage d’indépendance. La taxation des engrais russes est d’ailleurs applaudie par les industriels de l’UE.

« Le temps presse. Cela fait trois ans que nous demandons à l’UE d’agir », souligne Tiffanie Stephani, chez Yara, l’un des plus gros producteurs d’engrais en Europe. « Les importations russes ont eu un impact massif » avec une « pression » sur les prix, estime-t-elle.

« Punir les agriculteurs »

L’UE va maintenant devoir rassurer les agriculteurs qui s’alarment d’une éventuelle explosion des prix sur l’ensemble du marché.

Cette taxation peut être « potentiellement dévastatrice », a lancé le Copa-Cogeca. « Les agriculteurs européens ne doivent pas devenir des dommages collatéraux » de la situation géopolitique, dit ce lobby agricole.

A Berloz, dans le centre de la Belgique, Amaury Poncelet vient d’épandre des engrais azotés. Il se ravitaille auprès d’un négociant à Gant, sans connaître l’origine des fertilisants. Mais ce céréalier et betteravier « ne comprend pas l’idée de l’Union européenne de punir ses agriculteurs » avec la taxe sur les produits russes. « On perd de l’argent à cause de ces décisions européennes qui nous méprisent et nous prennent pour des pions », grince-t-il.

A la Commission européenne, on assure pourtant que toutes les précautions ont été prises pour que le marché ne soit pas affecté. L’exécutif européen insiste sur la progressivité de la mesure, en trois ans. Et promet d’intervenir si les prix grimpent.

En cas d’inflation, la Commission pourrait suspendre les taxes douanières sur les engrais d’autres régions pour compenser : Maghreb, Asie Centrale, Etats-Unis, Trinité-et-Tobago ou Nigeria…

De son côté, l’entreprise Yara, qui assure comprendre les inquiétudes « légitimes » des agriculteurs, évoque une potentielle hausse limitée des prix du marché de « 5 à 10 dollars (4,5 à 9 euros) par tonne en raison de différents coûts logistiques ». Les cours varient, mais la tonne d’engrais à base d’azote vaut quelque 350 euros actuellement.

Sauf coup de théâtre, le vote du Parlement européen devrait être acquis sans trop de difficulté jeudi en plénière à Bruxelles. Mais des voix à droite demandent un report d’un an de la mesure.

Et une série d’élus d’extrême droite ont tenté, en vain, de détricoter la proposition. La taxation des engrais russes « ne va pas changer d’un iota la guerre et est extrêmement périlleuse pour nos agriculteurs », juge l’eurodéputé Thierry Mariani (RN, Patriotes). « C’est une usine à gaz et un suicide économique », lâche cet élu français, régulièrement pointé du doigt par ses adversaires politiques pour sa proximité avec la Russie de Vladimir Poutine.

Echaudée par la colère agricole de 2024, la Commission européenne va surveiller le sujet comme le lait sur le feu. L’exécutif a enchaîné les gestes à l’égard des agriculteurs ces derniers mois, à l’image d’un plan présenté mi-mai pour simplifier la politique agricole commune en allégeant les règles environnementales.

Interpellé mercredi, le gouvernement français a assuré avoir négocié des concessions avant ces surtaxes, notamment de ne pas inclure les produits à base d’ammoniac.