Un viticulteur attaque ses négociants
AFP le 11/01/2024 à 18:50
La loi Egalim visant à réguler les prix agricoles s'est retrouvée pour la première fois, jeudi à Bordeaux, au cœur d'un litige opposant un viticulteur à des négociants sur le tarif de vente de sa production qu'il juge « abusivement bas ».
« Une drôle d’affaire », de l’avis d’Alexandre Bienvenu, l’avocat de la Maison Ginestet, assignée avec la société Cordier devant le tribunal de commerce par Rémi Lacombe. Cet exploitant dans le Médoc leur a vendu près de 8 500 hectolitres en vrac, en 2021 et 2022, aux prix de 1 150 ou 1 200 euros le tonneau de 900 litres selon les millésimes. Soit environ un euro la bouteille, tarif que le producteur juge très inférieur à ses coûts de revient, oscillant selon lui entre 1 500 et 2 000 euros le tonneau.
Son avocat, Louis Lacamp, y voit une violation de la loi Egalim adoptée fin 2018 pour assurer aux agriculteurs un revenu qui leur permette de vivre de leur travail.
En vertu de l’article L442-7 du Code de commerce issu de cette loi, qui oblige un acheteur de produits agricoles ou de denrées alimentaires à réparer le préjudice causé par le fait « de faire pratiquer par son fournisseur un prix de cession abusivement bas », le viticulteur réclame ainsi plusieurs centaines de milliers d’euros aux négociants.
C’est la première fois qu’une juridiction est saisie sur ce fondement. « Le texte est resté lettre morte » à ce jour faute de poursuites, et donc de sanctions, estime Me Lacamp qui attend « un signal fort » du tribunal car « on est au cœur des pratiques auxquelles le législateur voulait mettre fin avec la loi Egalim ».
Mais pour la défense, l’éventuel abus « n’est pas aussi simple à déterminer » et « la propagande ne suffit pas » : une analyse économique « digne de ce nom » manque à la procédure, selon elle, pour comparer tarifs d’achat, coûts de revient et prix du marché dans un vignoble bordelais en crise.
Elle conteste aussi toute pression sur les tarifs de la part des négociants, qui n’auraient fait que signer des bordereaux d’achat établis par des courtiers intermédiaires.
« Le requérant n’est pas un agriculteur acculé à la faillite », a pointé l’avocate de Cordier, Me Nathalie Tourrette, rappelant que la société de Rémi Lacombe, qui a exploité jusqu’à 138 hectares, a cédé dernièrement ses propriétés pour 18 millions d’euros à des investisseurs chinois. Jugement le 22 février.