Irène Tolleret, eurodéputée : « L’avenir de l’agriculture n’est pas phytodépendant »
TNC le 11/07/2023 à 05:09
Députée européenne du groupe Renew, vigneronne et élue de l’Hérault, Irène Tolleret estime que les NBT doivent bénéficier d’une législation posant des limites sur ces techniques, dans le cadre du pacte vert, en faveur d’une agriculture vertueuse pour les consommateurs, les producteurs et l’environnement. Ils doivent faire partie, selon elle, de la boîte à outils permettant au secteur agricole d’être moins dépendant de l’usage des phytosanitaires. Un sujet qui promet d’être âprement discuté au Parlement européen ces prochains mois.
TNC : Votre avis sur les récentes mises en cause des agriculteurs ?
Irène Tolleret : On peut être collectivement très fiers de l’agriculture européenne. Elle est responsable de l’émission de 10 % de CO2 de l’UE contre 16 ou 17 % au niveau global. C’est-à-dire que lorsqu’on mange un kilo de nourriture importée, on contribue deux fois plus aux émissions de GES que si l’on consomme de la nourriture produite en Europe et encore plus en France. En raison d’un manque de dialogue, de nombreux agriculteurs sont confrontés à des négociations houleuses au sujet de textes sur la politique agricole, en dépit des efforts énormes consentis sur la réduction des pesticides en France. Le sujet de la hausse démographique se pose également. On a construit en s’étalant et créé des zones de conflit qui n’existaient pas à l’image des lotissements et des maisons situés en bordure de champ. Et ces habitants ont l’impression de se faire empoisonner lors du traitement des cultures.
En ce qui concerne les évènements plus récents, je dirais que cela représente beaucoup d’engagement humain et financier que de monter une serre ou d’avoir un projet sur le long terme pour monter des bassines. Il n’y a aucune cause qui justifie ces destructions et je soutiens complètement les agriculteurs dans ce contexte. Il faut qu’on arrive à embarquer les citoyens pour désamorcer les sujets grâce aux politiques publiques et agricoles. C’est ce qui avait été commencé avec les chartes sur les pesticides. Il est sûr que l’avenir de l’agriculture n’est pas phytodépendant, tout le monde en est conscient et nous avons besoin de textes pour nous aider à ce sujet. On attend des propositions de la commission sur les NBT, ce n’est pas l’unique solution mais face à un problème complexe il est nécessaire d’utiliser toute la boîte à outils.
TNC : Où en est-on sur ce sujet des NBT ?
Irène Tolleret : Sur les NBT, il est important, pour que les chercheurs de l’UE aient accès à des outils aussi puissants que les autres, de légiférer, et d’étudier les secteurs où la traçabilité est possible. Le but n’est pas de faire de nouveaux OGM.À partir du moment où un chercheur effectue des recherches sur les NBT, il y a des protocoles de pré-autorisation. Si la tomate ou le bœuf correspondent à des produits qu’on aurait pu obtenir avec des techniques traditionnelles, un patrimoine génétique constant et l’absence de traces résiduelles des vecteurs de cette technique de sélection, ils peuvent rentrer dans le champ du conventionnel dans les accords de libre-échange. Pour l’instant, les systèmes ne sont pas en mesure d’analyser les modifications génétiques mineures. Il faut donc que des protocoles robustes soient mis en place pour vérifier l’éventuelle dangerosité des produits avant qu’ils ne soient autorisés.
🤔Can #NewGenomicTechniques operate in the interest of sustainable and resilient #FoodSystems?
👉Let’s hear from MEP @ITolleret introducing tomorrow’s @EUFoodForum debate on “New Genomic Techniques EU Proposal: legal framework and enforcement challenges”.🌱📷 #LetstalkAboutFoodpic.twitter.com/w7Pux9vS2G
— European Food Forum 🇪🇺 🗣🤝 (@EUFoodForum) July 4, 2023
Il faut pouvoir distinguer les techniques permettant d’atteindre des résultats qui auraient pu être obtenus naturellement des autres. Le grand public attend qu’on lui livre une nourriture bonne pour la santé et l’environnement et doit pouvoir faire confiance au législateur. C’est pour cela qu’il est important de mettre des limites au NGT et elles s’inscrivent dans le cadre du pacte vert, c’est-à-dire des recherches qui font baisser les GES, l’utilisation de l’eau et des d’intrants. Les plantes ou animaux déjà développés dans les pays tiers intègrent ces caractéristiques, sinon ces projets ne seraient pas financés »
TNC : Quelle est votre analyse sur la politique de réduction des intrants ?
Irène Tolleret : La baisse des pesticides repose sur trois facteurs essentiels, l’augmentation du bio, les new breeding technics, et une diminution des cultures non essentielles à l’alimentation. Dans le cadre de la transition agricole, l’objectif à atteindre est de 50 % des réductions des engrais, mais la question est de savoir comment on traite les pays qui ont déjà pris de l’avance, et de déterminer quelle position de départ est acceptable pour tout le monde. Aujourd’hui, si on compare les kilo hectares de pesticides dans l’Union il y a de grandes disparités. On pourrait imaginer que les États membres qui recourent davantage aux pesticides réduisent plus fortement leur utilisation, et que pour des pays comme la France où il y a énormément d’avance que cette réduction soit inférieure à 50 %. Une étude d’impact a été demandée à la Commission à ce sujet dans le cadre de la stratégie de la ferme à la fourchette.
On a pris conscience des problèmes de dépendance majeure sur des secteurs comme l’énergie et sur les intrants. Même si on se place dans la perspective d’une moindre utilisation des engrais, la réalité est qu’en raison de la pénurie en Europe leur prix augmente, et cela induit des hausses de coût de production assez importantes. L’année dernière, le prix des intrants des agriculteurs a augmenté de 25,9 % au niveau européen. Il va falloir à un moment donné que cette hausse se répercute. Au-delà des lois Egalim, il ne faut pas non plus que les prix à l’alimentation augmentent trop si on veut des systèmes agricoles durables dans le temps et une agriculture plutôt vertueuse vis-à-vis de l’environnement. Les prix de l’alimentation en Europe doivent être cohérents avec ceux de la production.
TNC : Quelle est votre analyse des discussions en cours sur le pacte vert ?
Irène Tolleret : Le pacte vert, voté au niveau du parlement de l’Union nous engage à être neutre en carbone en 2050, et d’avoir baissé nos émissions de GES de 55 % d’ici 2035. Il y a des paquets législatifs prévus pour le secteur agricole avec la stratégie de la ferme à la fourchette, comptant 27 textes législatifs. Le texte sur la réglementation de l’usage durable des pesticides (SUR) est sur la table. Pour l’instant, il n’y a pas « d’atterrissage » de prévu au parlement. Nous sommes encore loin d’un compromis, mais ça ne veut pas dire qu’on ne va pas le trouver.
Il y a également des tensions sur le projet de loi de restauration de la nature provenant d’un manque d’écoute. Il faut que d’ici la prochaine législature on puisse faire évoluer la Commission agriculture et alimentation afin de ne pas enfermer l’agriculture dans les moyens de production, si le résultat est problématique, et travailler sur des sujets comme le gâchis alimentaire dans le secteur agricole et les réseaux de distribution.
Enfin, l’objectif de 25 % de bio d’ici 2030 s’inscrit dans un contexte ou des pays comme l’Italie sont à 20 % mais peinent à faire plus. Le marché doit réussir à absorber ces nouvelles quantités de productions bio, compte tenu de la situation inflationniste actuelle. Aujourd’hui, beaucoup de produits de la filière bio ne trouvent plus preneur. Certaines pommes ou des produits laitiers issus de la filière bio se vendent actuellement en conventionnel. Si on veut que cette filière se développe il faut des mesures de marché. Dans ce sens, les aides qui commencent à être mises en place en France sont positives mais il faut avoir conscience que la guerre en Ukraine a changé beaucoup de choses.
TNC : Comment percevez-vous l’impact du conflit russo-ukrainien sur l’agriculture européenne ?
Irène Tolleret : Avant la guerre, les céréales ukrainiennes et russes représentaient 80 % des importations de blés de certains pays tiers dépendant de cette ressource pour leur alimentation. Face à la difficulté d’avoir des couloirs suffisamment fluides, il s’avère impossible de faire circuler les quantités nécessaires pour ces exportations. La commission a très clairement fait savoir qu’il faudrait utiliser ces céréales en Europe.
Sauf que l’irruption des céréales ukrainiennes sur le marché européen posera problème aux céréaliers européens du fait de leur moindre coût. Cela peut occasionner l’achat de ces céréales pour aider l’Ukraine et l’occupation de l’espace de stockage dans la transformation. Dans ce cas de figure, les céréaliers européens risqueraient de ne pas avoir de retiraison de leurs cultures parce que les places sont prises. C’est un vrai sujet. Que vont manger ces personnes qui dépendaient de ces importations pour se nourrir ? N’est-on pas en train de créer une situation catastrophique ?
Doit-on laisser la totalité des céréales ukrainiennes rentrer sur le marché européen, alors qu’elles étaient censées traverser l’Europe pour nourrir les populations de pays tiers ? Si elles nourrissent des Européens, elles prennent la place des céréales européennes avec des prix qui ne sont pas les mêmes. Il est important que l’économie de l’Ukraine tienne compte de la situation que l’on connaît. En revanche, les règles de production ne sont pas les mêmes. Il faut aussi se poser la question des itinéraires de production et des espaces de stockage. Si les silos sont pleins, les céréaliers de l’Est ne vont pas pouvoir livrer leurs transformateurs et dans ce cas, il faudrait éventuellement transporter les stocks ailleurs où avoir des couloirs qui fonctionnent, mais on ne le voit pas venir.