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Portrait

Victor, 21 ans, veut faire entrer « l’art » de la boucherie à l’Unesco


AFP le 18/09/2020 à 16:39

À l'âge de 5 ans, Victor a « su » : il serait boucher un jour. Quinze ans plus tard, le jeune homme s'est mis en tête de faire entrer « l'art » de la découpe « à la française » au patrimoine immatériel de l'humanité de l'Unesco.

Un art, le coup de lame du boucher ? Un patrimoine, la carcasse pendue au crochet ? Pour Victor Dumas, 21 ans, cela ne fait aucun doute. « J’aime ce métier, ça m’a toujours plu », dit-il à l’AFP, « c’est le contact et le partage ». Derrière l’œil clair qui pétille, des émotions d’enfance remontent : à la ferme de ses parents, dans les monts du Lyonnais, « quand on tuait le cochon, c’était la fête de l’année ». Les voisins donnaient un coup de main. Victor tournait la manivelle pour garnir les boyaux de chair hachée, futurs saucissons. « En une journée, on remplissait le garde-manger, c’était très festif. »

À 15 ans, lorsque ses enseignants ont voulu l’orienter vers une Seconde générale, il a imposé son choix : apprentissage boucherie. Technique, précision, rapidité. Aujourd’hui, il taille la culotte d’un mouton, puis sépare les côtes de la poitrine pour réaliser le fameux carré d’agneau. Moins de 10 minutes pour le tout. Depuis un an, le jeune boucher, devenu entretemps apprenti-charcutier à Aix-les-Bains pour compléter sa panoplie, arpente la France. À la rencontre de professionnels de l’élevage, de la boucherie, de la gastronomie, voire de la tannerie. Il veut «  montrer la belle image du métier, les bons produits, la découpe à la française ». Et fédérer des soutiens.

L’idée de déposer une candidature à l’Unesco lui est venue « lors des championnats du monde de découpe en 2018 en Irlande » où il a fini 3e en catégorie apprenti. En voyant les autres candidats, il se rend compte « qu’il y a une réelle découpe particulière à la France », riche comme sa gastronomie. Il voit aussi « que tout le monde regarde les candidats français ». « Dans une carcasse de bœuf, on va trouver jusqu’à 40 morceaux » (…) « quand d’autres vont moins bien valoriser la carcasse » (…) et ne tailler que « cinq ou six morceaux » différents, explique-t-il.

Comme l’art français du tracé de charpente remontant au Moyen-âge, reconnu par l’Unesco en 2009 en même temps que celui des calligraphes chinois, les fabricants de yourtes kazhakes ont été récompensés en 2014, le savoir-faire des marbriers grecs de Tinos a été reconnu en 2015 et celui des parfumeurs de Grasse en 2018. La reconnaissance internationale de savoir-faire joue un rôle de protection de cultures fragiles à l’heure de la mondialisation. Mais Victor ne pense pas que la boucherie française soit en danger. Au contraire : « Les gens auront toujours besoin de manger, et de plus en plus ils reviennent vers la qualité, on l’a vu pendant le confinement ».

« Orfèvres »

Son optimisme remonte le moral d’une filière mise sous pression par le véganisme, les militants de la cause animale ou certains défenseurs de l’environnement au nom du climat. « Dans le mouvement vegan, il y a une partie extrémiste, qui cherche à faire valoir des produits purement industriels, on parle de viande de synthèse, viande chimique réalisée en industrie », dénonce Patrick Gimonet, directeur général de la Confédération française de la boucherie (CFBCT), qui accompagne la candidature du jeune homme.

Pour Victor, rien ne vaut une « bête bien élevée », issue d’un élevage familial. Elle donnera « une bonne viande », qui « fait plaisir ». Il prépare déjà les championnats du monde de Sacramento (Californie) en 2021, en catégorie jeune boucher. « Victor représente les bouchers qui s’adaptent aux envies, aux saisons », souligne Mathieu Pecqueur qui dirige Culture Viande, organisme regroupant la filière d’abattage et de découpe industrielle.

Hervé Puygrenier, dirigeant d’abattoir, lui prédit un avenir de « maître-boucher », « des orfèvres ». « L’art français de la viande est reconnu dans beaucoup de pays : en Chine, où nous venons d’ouvrir le marché de la viande bovine française, on nous a demandé des formations », précise Dominique Langlois, président d’Interbev, l’interprofession de l’élevage et de la viande. Il salue « la belle initiative » de Victor Dumas et se dit prêt à le soutenir dans sa campagne, « plusieurs années s’il le faut ».