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Charcuterie

L’interdiction des nitrites au menu de l’Assemblée nationale


AFP le 24/01/2022 à 17:35
slices of White Ham from Paris on a slate cutting board

(©Pixabay)

Les députés commencent à débattre cette semaine d'un texte visant à interdire progressivement aux fabricants de charcuterie d'utiliser des nitrites, des conservateurs controversés qui donnent une couleur rose au jambon cuit.

La proposition de loi, qui prévoit une interdiction par étapes de ces additifs d’ici à 2025 « doit servir à protéger les citoyens », affirme le député MoDem du Loiret Richard Ramos, qui la porte. Le texte sera discuté mercredi en commission des Affaires économiques, puis en séance publique le 3 février.

Le sort qui lui sera réservé est incertain. Le gouvernement dit vouloir « attendre le retour » de l’agence sanitaire Anses « avant de se prononcer sur les décisions à mettre en œuvre », rapporte le ministère de l’Agriculture auprès de l’AFP.

« Les analyses « bénéfices » doivent être établies par les experts », ajoute le ministère, qui « s’engage à suivre l’avis » de l’Anses.

Cet avis, attendu initialement courant 2021, est annoncé pour la fin du premier semestre 2022. L’agence, qui évoque une « saisine complexe », « réfute catégoriquement tout enlisement de l’expertise en cours », dans un communiqué récent. Richard Ramos juge lui ce délai lié à des « pressions ».

Sur le front depuis plus de deux ans aux côtés de l’application nutritionnelle Yuka, l’association de défense des consommateurs Foodwatch et la Ligue contre le cancer, Richard Ramos évoque un « long combat parlementaire » mené contre des « lobbies très puissants » issus de l’industrie charcutière.

Historiquement, les charcutiers recourent aux composants nitrés pour allonger la durée de conservation des produits et prévenir le développement de bactéries pathogènes à l’origine notamment du botulisme, une affection neurologique grave largement oubliée du fait des progrès sanitaires de l’agroalimentaire moderne.

En plus de donner sa couleur rose au jambon, naturellement gris, ils permettent aussi d’utiliser de la viande de moins bonne qualité, moins chère, tout en gagnant du temps dans les procédés de séchage, selon un rapport parlementaire de 2021, cosigné par M. Ramos.

« Question de fric »

En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la viande transformée, notamment la charcuterie, comme cancérogène (catégorie 1). Elle favoriserait, entre autres, les cancers colorectaux. Les nitrites ingérés sont quant à eux considérés comme des cancérogènes probables (catégorie 2A).

« Tout aliment consommé en excès peut provoquer des maladies », rétorque Bernard Vallat, président de la Fédération des industriels de la charcuterie (FICT).

Plaidant pour attendre l’avis de l’agence sanitaire Anses avant de « prendre toute décision législative en la matière », il estime que la proposition de loi n’a « aucune crédibilité ».

Le défenseur des charcutiers met en avant la menace d’une résurgence du botulisme.

« On ne peut pas balayer d’un revers de la main le risque microbiologique mais les progrès sanitaires, le contrôle de la qualité des matières premières et de la chaîne du froid permettent de penser que le retrait des nitrites ne va pas faire exploser le botulisme en France », déclare à l’AFP Fabrice Pierre, directeur de recherche à l’institut de recherche Inrae, spécialiste de la relation entre alimentation et cancer.

Ce risque est aujourd’hui « quasiment inexistant », à l’inverse de celui de développer un cancer du côlon imputable à la consommation de charcuteries, estimé à près de 4 000 cas par an en France, souligne le toxicologue, qui rappelle que 63 % des Français dépasseraient les niveaux de consommation recommandés (pas plus de 150 grammes par semaine).

« On nous raconte des histoires. Pour eux (les industriels), ce n’est pas une question de santé publique, c’est une question de fric, dit Richard Ramos.

Des centaines de milliers de tranches de jambon sans nitrites sont consommées chaque jour, sans aucun problème. » De grands fabricants, comme Herta ou Fleury Michon, se sont déjà lancés dans des gammes de jambon sans nitrites.

« Les alternatives déjà commercialisées sont souvent plus chères, reconnaît Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch. Mais la concurrence pousserait les industriels à réaligner les prix vers le bas. » « Nous souhaitons obtenir gain de cause, comme avec le dioxyde de titane », souligne Benoît Martin, cofondateur de Yuka. Cet additif utilisé principalement comme colorant est banni des assiettes françaises depuis 2020 et doit l’être à l’échelle de l’UE dans le courant de l’année.