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Bordeaux après le confinement

Les grands crus partent courtiser les acheteurs


AFP le 08/05/2020 à 10:10

Déjà fragilisés par des aléas climatiques et des ventes en berne, les prestigieux châteaux bordelais tentent de réagir après le choc de l'annulation pendant le confinement de la « Semaine des primeurs », événement unique en France permettant d'assurer la stabilité économique de ces grands crus.

Invitations, dégustations, soirées VIP…… chaque année, début avril, les grands crus bordelais font déguster à des invités du monde entier leur vin primeur, le dernier millésime qui ne sera commercialisable au grand public qu’environ deux ans plus tard.

Acheteurs, négociants et journalistes se pressent de château en château, et notent les grands crus, ce qui fixera les prix. Puis des courtiers mettent en relation propriétaires et négociants, qui achètent un vin qui continuera sa maturation en fûts.

Ce système multicentenaire permet à quelque 400 domaines de vendre leur vin avant même qu’il soit dans les boutiques et donc d’assurer des rentrées de trésorerie immédiates.

Sans cette grand messe commerciale, le millésime 2019, qui a bénéficié d’excellentes conditions climatiques, n’a pas pu être évalué.

Sans prix, pas d’acheteurs. « Et on ne peut pas envisager de fixation de prix tant que les vins n’auront pas été dégustés », résume Ronan Laborde, président de l’Union des grands crus classés de Bordeaux (UGCB) qui organise pour ses 134 membres les dégustations.

Du coup, les grands crus ont décidé d’aller à la rencontre des acheteurs dans une douzaine de métropoles américaines, européennes et asiatiques.

A Londres, Hong Kong ou Singapour, « les acheteurs auront à disposition des informations écrites, orales mais aussi en vidéo de nos membres qui vont parler de ce millésime et expliquer le travail effectué sur la propriété », explique Ronan Laborde.

Avant l’étranger, le millésime 2019 sera présenté « sur la place de Bordeaux » vers la mi-juin, espère-t-il. D’autres châteaux enverront eux-mêmes leurs propres échantillons, et certains ont même déjà commencé à les faire déguster.

« Encore jouable »

La tenue de ces Primeurs, « où l’attention des marchés est focalisée sur Bordeaux », est capitale, souligne un courtier de la place. « Le timing est primordial pour nos affaires: faire goûter et opérer la mise en marché avant l’été », car « si on saute notre tour, on n’aura plus cette attention ».

« C’est encore jouable », dit-il, même si « on ne mesure pas encore si il y aura des acheteurs ».

Confinement, crise économique… « Dans une période comme celle-là il faudra être attentif au niveau des prix », note le courtier bordelais, « mais comme d’habitude c’est le marché qui va trancher ».

D’autant qu’avec les restaurants fermés, des exportations au ralenti et des avions cloués au sol, un « marché significatif » pour les grands crus, les stocks ont gonflé, même si les nobles étiquettes de Bordeaux ont les reins solides et d’immenses chais.

« C’est exagéré de dire que le marché est à l’arrêt. Il est très perturbé, fortement ralenti avec des disparités selon les réseaux de distribution », nuance le négociant Georges Hausalter, également vice-président du Conseil spécialisé vins de FranceAgrimer.

Le marché des grands crus, s’il ne représente pas plus de 4% des volumes, concentre environ 20% du chiffre d’affaires de la filière bordelaise, et entraîne dans son sillage les étiquettes moins prestigieuses.

Seule appréciation sur laquelle se basent pour l’heure les acheteurs: la « Note du millésime » rédigée par l’Institut de la Science de la Vigne et du vin (ISVV) de la faculté d’oenologie de Bordeaux (bordeauxraisins.fr) qui promet « un grand millésime de vins blancs secs », « enthousiasmant » pour les rouges, et des vins liquoreux de Sauternes et Barsac « parfaitement nets et aromatiques ».

De quoi redonner espoirs au secteur qui a connu ces dernières années le gel, la grêle, le mildiou et un problème chronique de surproduction de l’AOC Bordeaux. Sans compter la chute des ventes aux Etats-Unis, avec la guerre tarifaire lancée par Donald Trump, en Chine, où les vins australiens et chiliens se taillent des parts de marché, et même en France, où le Bordeaux doit renouveler son image.