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Marché des grains

Le marché des céréales nerveux face à la durée incertaine du corridor ukrainien


TNC le 15/03/2023 à 18:05
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Depuis août 2022, l'« Initiative de la mer Noire » signée entre Kiev, Moscou, l'Onu et la Turquie a permis de sortir plus de 24 Mt de céréales et oléagineux d'Ukraine, via un corridor d'export sécurisé (©Aleksandr Lesik, AdobeStock)

Les marchés agricoles sont « à la fois rassurés et déçus » : l'accord russe pour une prolongation du corridor maritime ukrainien a soulagé les opérateurs, mais cette reconduction pour « seulement 60 jours » à ce stade alimente la volatilité des prix.

Les opérateurs « commencent à comprendre que ce n’est pas du tout cuit. Et ils deviennent plus nerveux », résume Michael Zuzolo, de Global Commodity Analytics and Consulting, au sujet de la reconduction du corridor sécurisé en Mer noire.

La dynamique forte de repli des prix des céréales engagée il y a un mois a été stoppée net. Sur le marché européen, la tonne de blé tendre, descendue vendredi à son plus bas niveau en 13 mois, s’échangeait mercredi après-midi autour de 268 euros. Le cours du maïs suivait la même tendance, remontant légèrement ces derniers jours, pour atteindre les 264 euros la tonne sur Euronext.

« Le marché est rassuré du maintien du corridor, mais l’inquiétude porte sur la durée. On ne sait pas exactement ce que veulent les Russes, d’où les hésitations des cours » qui varient à la hausse ou la baisse 20 fois dans la journée, a commenté Gautier Le Molgat du cabinet Agritel, soulignant qu’il restait « des quantités importantes de grains à sortir d’Ukraine ».

La Russie a proposé lundi de prolonger l’accord sur les exportations agricoles ukrainiennes, qui expire le 18 mars, pour 60 jours (contre 120 dans les périodes précédentes), une offre critiquée par Kiev qui y voit une remise en question de l’entente initiale et qui demandait il y a peu une reconduction de douze mois .

« On est peut-être dans des postures de négociation, commente ce mercredi Marc Zribi, chef de l’unité Grains et sucre de FranceAgriMer, lors d’un point presse. Les discussions sont serrées, impossible de dire si elles déboucheront sur 60 jours ou plus ».

Ce qui est sûr, c’est qu’une telle durée serait trop faible pour permettre à l’Ukraine une visibilité suffisante sur ses exportations, à l’heure où de nombreux navires sont bloqués à Istanbul à cause des retards dans les inspections.

« Pas d’autre choix »

Cette « Initiative de la mer Noire » signée entre Kiev, Moscou, l’ONU et la Turquie a permis depuis le 1er août de sortir plus de 24 millions de tonnes de céréales et oléagineux (tournesol) d’Ukraine, limitant l’aggravation de la crise alimentaire qui frappe de nombreux pays importateurs fragiles.

Le texte initial prévoit une tacite reconduction tous les 120 jours. En divisant sa durée par deux, Moscou maintient la pression pour voir améliorer un second accord parallèle pour faciliter ses propres exportations de céréales et d’engrais, indirectement pénalisées par les sanctions occidentales.

La Russie réclame notamment des progrès sur les paiements bancaires, les assurances et l’approvisionnement en ammoniac via l’oléoduc Togliatti-Odessa, selon un négociateur russe.

Pour Arlan Suderman, de la plateforme de courtage StoneX, la Russie n’aura « pas beaucoup d’autre choix » que de prolonger l’accord, « si elle ne veut pas contrarier des alliés ». Notamment la Chine, qui a intérêt au maintien du corridor, étant « un des plus gros clients de l’Ukraine pour le maïs ».

Selon Marc Zribi, « on pourrait se retrouver dans le même genre de configuration qu’en octobre dernier » : lors des négociations pour la première reconduction du corridor, c’est au dernier moment que l’accord avait été annoncé.

L’incertitude sur le corridor et surtout la baisse des cours ont incité les acheteurs à revenir « plus tôt qu’on ne les attendait », relève Gautier Le Molgat : « l’Arabie saoudite, qui avait lancé un appel d’offre pour 480 000 tonnes de blé en a finalement acheté un million, en grande partie russe. L’Algérie a acheté 420 000 tonnes de blé et la Tunisie 234 000 tonnes ».

Chute des huiles

Dans le sillage du pétrole, les cours des huiles continuent, eux, de chuter.  Sur le marché européen, le colza plonge depuis début mars et s’échangeait mercredi sous les 480 euros la tonne, au plus bas depuis la mi-septembre 2021. À Kuala Lumpur, le prix de l’huile de palme, la plus vendue dans le monde, qui était monté jusqu’à 1 775 dollars la tonne en avril 2022, est retombé autour de 900 dollars.

L’offre est « assez abondante » et les stocks ont été reconstitués, après une bonne campagne 2022-23 pour le colza et tournesol en Europe, mais aussi pour le canola (colza OGM) au Canada et surtout une « récolte record en Australie ».

Et « en soja, la récolte extraordinaire au Brésil compense la baisse de production en Argentine » du fait de la sécheresse, explique Antoine de Gasquet, président de la société de courtage en huiles Baillon-Intercor.

Parallèlement, sous l’effet de l’inflation, la demande ralentit, tant pour la consommation humaine et animale (tourteaux) que pour les agrocarburants, débouché majeur pour les oléagineux valorisés en biodiesel.

Sur le long terme, Antoine de Gasquet appelle à la prudence, plusieurs facteurs pouvant faire remonter les prix : une consommation accrue de la Chine et peut-être de l’Inde, notamment si leurs productions « sont affectées par le phénomène météorologique El Niño », et un « retour des agrocarburants avec le développement du kérosène vert pour l’aviation ».