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Marché du blé tendre

La perspective de bonnes récoltes 2019 neutralise toute embellie des prix


TNC le 20/05/2019 à 10:30
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Depuis plusieurs semaines, la perspective d’excellentes récoltes de blé chez les principaux producteurs a quelque peu plombé les cours. Avec une anticipation inédite des estimations de production sur les prix, tant de la récolte 2018 que 2019, le potentiel de baisse des prix reste désormais limité. À l’inverse, selon Michel Portier, président d’Agritel, et Gabriel Omnès, spécialiste du blé chez Tallage, le potentiel de hausse sera tout aussi limité, à moins qu'un incident climatique vienne frapper un ou plusieurs pays leaders d’ici la moisson.

Malgré l’actuel rebond des prix – au 15 mai, 172 €/t sur Euronext pour l’échéance septembre 2019, en hausse de 3,25 €/t en deux jours – la tendance des cours du blé tendre est baissière depuis plusieurs mois.

« Les prix sont globalement plus élevés que ceux des campagnes précédentes », rappelle Gabriel Omnes, spécialiste du blé chez Tallage. A 166,5 €/t rendu Rouen au 15 mai, le prix du blé a augmenté de 8,5 €/t en un an, et de 23,5 €/t par rapport à 2016. Mais la tonne de blé a perdu 13,5 € en un mois, et 23,5 € en trois mois.

Gabriel Omnès, analyste marché des céréales au cabinet Tallage (©Tallage)

« La hausse des prix a été limitée par l’agressivité du blé russe à l’export au cours de cette campagne », analyse le spécialiste. « Malgré des stocks faibles chez les principaux exportateurs, sauf aux Etats-Unis, nous n’avons pas observé la hausse espérée sur la deuxième moitié de la campagne de commercialisation. »

En fait, aux yeux des opérateurs, les estimations élevées de production pour la moisson 2019 ont rapidement et précocement esquivé l’argument de la faiblesse des stocks. Car, sauf éventuel incident climatique chez l’un des grands producteurs mondiaux, la récolte mondiale de blé s’annonce excellente. « Les perspectives de récoltes sont très bonnes partout dans le monde », confirme Michel Portier, PDG d’ Agritel. Les opérateurs français ont les yeux particulièrement rivés sur les pays de la zone mer Noire, où « les conditions de cultures sont actuellement idéales ». « En Russie, on s’attend à une récolte de 80 Mt. Les Ukrainiens pourraient produire 29 Mt. En Europe aussi, la moisson pourrait être très bonne. » Le Conseil international des céréales, quant à lui, estimait le 10 mai la production mondiale de blé tendre à 778 Mt, contre 732 Mt l’an passé.

À moins d’un accident climatique majeur en Russie ou en Ukraine, ces deux pays « risquent de prendre une bonne partie du marché à l’export, en particulier vers les pays du Mahgreb et de l’Afrique de l’Ouest », poursuit Gabriel Omnès. Lors de son dernier conseil spécialisé céréales à FranceAgriMer en tant que président, Rémi Haquin confirme aussi : « Si les Russes ont 6 ou 7 Mt de plus à la récolte, ce sera pour eux 6 ou 7 Mt de plus à exporter. »

Avec de telles perspectives, une certaine inquiétude plane sur les prix. « La nouvelle récolte de blé russe s’affiche à 185 $/t Fob. Pour s’aligner sur ce tarif, il faut être en dessous des 200 $ Fob Rouen, soit moins de 166 €/t rendu Rouen », calcule Gabriel Omnès. « Globalement, les exportateurs français peinent à être compétitifs par rapport à l’origine russe. Les Russes peuvent-ils encore baisser leurs prix ? Ils ont déjà beaucoup baissé leurs tarifs ces derniers mois. Mais on peut envisager encore une baisse de 10 $ Fob. »

Pour Michel Portier, le potentiel de baisse des prix reste limité « car les prix ont déjà beaucoup baissé ces derniers mois ». A contrario, le potentiel de hausse est tout aussi limité. « À la hausse, il ne faut pas s’attendre à des miracles pour les prochains mois. Sur le Matif à l’échéance septembre 2019, le tunnel 175-180 €/t est une zone dans laquelle il faudra déclencher des ventes », conseille-t-il.

Michel Portier est PDG d’Agritel. (©TNC)

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Les perspectives de commercialisation à l’export des grains français s’annoncent tout aussi difficiles. La Russie lorgne très sérieusement sur le marché algérien, première destination hors UE des blés français. Les Russes ont envoyé un « échantillon » de 22 t à l’OAIC, l’office interprofessionnel algérien des céréales. « 22 tonnes, ce n’est pas un petit échantillon juste pour voir », s’inquiète Rémi Haquin.

Reste à savoir si l’Algérie ouvrira son marché aux grains russes. Et, si elle le décide, à quelle échéance ? « Ça peut être une question d’années, ou de mois », estime Rémi Haquin. Autrement dit, il n’est pas exclu que des blés russes viennent concurrencer les blés français dès la campagne 2019-2020. Quoi qu’il en advienne, « cette situation illustre le poids de la géopolitique sur le marché des matières premières agricoles ».