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Commerce mondial des grains

La guerre en Ukraine redessine les flux commerciaux de céréales


TNC le 02/02/2023 à 18:00
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L.C. dos Santos Jr, M. Al Akiely, C. Maras et N. Gorbachev (de g. à d.) sont intervenus sur le thème du commerce mondial des céréales à l'occasion de la Paris Grain Conference, organisée les 26 et 27 janvier par Agritel/ArgusMedia (©ArgusMedia)

Alors que les exportations ukrainiennes de céréales s’annoncent réduites sur la prochaine campagne, certains pays importateurs s’organisent pour préserver la sécurité alimentaire de leur population et de gros fournisseurs du marché, comme le Brésil, dirigent leurs exportations vers de nouvelles destinations.

Comment la guerre russo-ukrainienne modifie-t-elle les flux commerciaux de céréales et comment les importateurs s’y adaptent-ils ? Telle était la question posée le 26 janvier après-midi à un panel d’experts à l’occasion de la Paris Grain Conference.

Côté Ukraine, Nikolay Gorbachev (président de l’Ukrainian Grain Association, UGA) prévoit une dégringolade des exportations malgré la mise en place de routes alternatives puis du corridor céréalier en Mer noire : après un pic à plus de 60 Mt en 2019/20 et 47,5 Mt exportés en 2022/23, il estime que les expéditions de céréales et d’oléagineux ukrainiens tomberaient sous 40 Mt sur la campagne de commercialisation 2023/24.

Production et exportations ukrainiennes de céréales et d’oléagineux (©Ukrainian Grain Association)

De fait, la production 2023 chuterait à 53 Mt – la moitié de son record de 2021- à cause d’un contexte financier très difficile pour les agriculteurs ukrainiens. Avec la flambée des coûts énergétiques et logistiques, « pour du grain valant 300 $/t sur une base FOB, les agriculteurs ne récupèrent que 80 $/t, avec un coût de production allant de 160 à 180 $/t », illustre-t-il.  Faute de rentabilité, « bien sûr qu’ils vont réduire les surfaces plantées ! ».

« On doit donner aux producteurs des signaux pour qu’ils plantent davantage de grains (subventionnement, crédits), plaide Nikolay Gorbachev, sinon le monde ne les aura pas et les prix vont grimper ! ».

Il insiste sur la position stratégique du pays, qui vend environ 30 % de sa production à l’Europe, 30 à 35 % à l’Afrique et 40 % à l’Asie : « Si on n’exporte pas, il sera possible d’en importer d’ailleurs, mais plus cher à cause de la logistique (…) Les pays développés pourront payer, mais pas les pays en voie de développement ».

Les pays importateurs s’organisent

Le conflit pose plus que jamais la question de la sécurité alimentaire, et plusieurs pays importateurs s’organisent pour y faire face.  À ce titre, « Les alliances sont très importantes », juge Malak Al Akiely, de la société Golden Wheat for Grain Trading (Moyen-Orient/Afrique du nord/USA), d’autant plus dans un contexte de changement climatique qui aggrave toutes les problématiques (…). Localement ou régionalement, chaque pays essaie de trouver son chemin, d’évaluer les risques, et de trouver des financements ».

En Jordanie par exemple, le Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont conduit le pays à augmenter ses réserves stratégiques. Ses infrastructures de stockage sont passées à 1,2 Mt et devraient prochainement doubler ; l’Islamic development bank vient de lui octroyer 200 millions de dollars pour, notamment, sécuriser 240 000 t de blé et 120 000 t d’orge.

Depuis le début de la crise sanitaire, la Jordanie travaille sur l’accès à l’alimentation, à l’énergie et aux produits agricoles, souligne Malak Al Akiely (Golden Wheat for Grain Trading). (©ArgusMedia)

On note aussi le retour des organismes publics dans l’achat de matières premières agricoles. Le Gasc, acheteur national égyptien, vient ainsi de lancer deux appels d’offre pour du maïs fourrager, financés par l’International Islamic Trade Finance Corporation. C’est une première : ces achats sont d’habitude traités par des acheteurs privés, mais la dévaluation de la livre égyptienne ces derniers mois complique leur activité.

Le contexte peut pousser les organismes publics à assouplir leurs appels d’offre, comme en Turquie : Cagatay Maras, du Turkish Grain Board, explique : « On donne parfois des délais supplémentaires, surtout aux compagnies ukrainiennes, en raison des conditions de guerre. Mais on ne fait pas de compromis avec la qualité ! » 

Des exports record pour le maïs brésilien

Quid des autres origines pour fournir le marché mondial ? Sur la campagne en cours, la production argentine de maïs a été revue à la baisse mais le Brésil sera bien présent. « Surtout grâce à la hausse des rendements, on devrait produire 125 Mt de maïs, dont 45 Mt seront consacrés à l’export », chiffre Luiz Carlos dos Santos Jr, directeur de l’entreprise brésilienne SA Commodities. La Chine devrait figurer en bonne place parmi les acheteurs, elle qui s’est ouverte l’an dernier à l’origine brésilienne.

Production et exportations de maïs du Brésil (©Conseil international des céréales)

L’Amérique du sud pourrait en partie pallier la baisse des exports ukrainiens vers le Proche et le Moyen-Orient. « La Jordanie et l’Arabie saoudite importent beaucoup de maïs et de tourteaux de soja du Brésil et de l’Argentine », souligne Malak Al Akiely. Même chose pour la Turquie. Mais pour le blé, « la compétitivité et la durée du voyage sont des facteurs-clés », avance Cagatay Maras, ce qui exclut des achats de blé argentin actuellement. De plus, « La Turquie a une politique non-OGM très stricte concernant les grains destinés à l’alimentation humaine, ce qui complique les choses ».

Quant au blé australien, il est peu probable d’en voir expédié vers la Turquie, mais « la hausse significative de production devrait permettre de rediriger les achats de la Chine et des pays de l’Asie du sud-est vers les grains australiens », réduisant la pression sur les exports de la Mer noire, précise Cagatay Maras.

Le représentant du Turkish Grain Board insiste sur l’importance de poursuivre les exports de grains et d’oléagineux ukrainiens via le corridor sécurisé mis en place mi-2022 et reconduit une première fois en novembre, et de faciliter les inspections des navires pour fluidifier le trafic. « Nous sommes plein d’espoir sur le renouvellement de l’accord au mois de mars, et sur son extension aux ports de Mykolaiv. Nos efforts vont dans ce sens », annonce-t-il.