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Sahel

Face aux guerres climatiques, l’agriculture comme vecteur de paix


AFP le 14/12/2019 à 08:15

Au Sahel, où conflits intercommunautaires, violences jihadistes et insécurité alimentaire préparent un « cocktail explosif » sur fond de changement climatique, l'agriculture et l'élevage peuvent être vecteurs de paix, à condition de recevoir des financements structurels d'urgence, estiment les experts.

« Il faut s’attaquer aux vraies causes des problèmes : la pauvreté, la précarité, l’insécurité alimentaire » a fait valoir auprès de l’AFP Sibiri Jean Zoundi, directeur adjoint du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, qui a piloté lundi au siège de l’OCDE à Paris une réunion d’experts, de bailleurs de fonds, d’agences de l’Onu et d’ONG autour de la prévention des crises alimentaires qui s’aggravent dans cette région du monde. Les chiffres sont impressionnants : le nombre de personnes ayant besoin d’une aide alimentaire dans 16 pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest a plus que doublé fin 2019, à 9,4 millions de personnes contre 4,5 millions l’an passé à la même époque. Sur ce total, 619 000 personnes sont en « situation d’urgence » (en phase 4 sur une échelle de 5, la 5e phase étant celle d’une famine déclarée). Si rien n’est fait, le total gonflera à 14,4 millions lors de la délicate période de juin à août, pendant la « soudure » entre deux récoltes, selon les estimations des réseaux RPCA (réseau de prévention des crises alimentaires) et CILSS (Comité inter-états de lutte contre la sécheresse au Sahel) présents à la réunion. Et ce, malgré de relativement bonnes récoltes, dues à une meilleure pluviométrie.

« Déficits fourragers »

« Il a plu quasiment six mois cette année, ce qui est inespéré, exceptionnel » a dit le ministre de l’agriculture du Niger, Abaldé Abouba. Responsable désignée de l’aggravation de l’insécurité alimentaire : la montée des violences, et l’adhésion croissante des jeunes au jihadisme dans certaines régions. Car cette année, les récoltes de céréales ont été en légère hausse par rapport à l’an passé (+ 1,7 %) et par rapport à la moyenne des cinq dernières années (+ 14 %), à 75,1 millions de tonnes. Celle de tubercules et racines, estimée à 191 millions de tonnes, a progressé de 17,1% dans les 16 pays, comparées à la moyenne quinquennale. Côté élevage, la crise s’illustre par « d’importants déficits fourragers dans certaines localités de la bande sahélienne » (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad), la Mauritanie et le Sénégal étant les plus touchés, indique le réseau.« Ces déficits fourragers, ajoutés aux difficultés d’accès à certains pâturages en raison de la crise sécuritaire », entraînent dans ces zones marquées par la transhumance traditionnelle des troupeaux « une forte concentration du bétail dans quelques zones sécurisées inhabituelles ainsi qu’un départ précoce à la transhumance » ajoute le communiqué final de cette 35e réunion annuelle du réseau. Un « cocktail explosif » pour M. Zoundi : cette situation porte un « risque majeur » d’« aggravation des conflits » traditionnels dans la région entre agriculteurs et éleveurs pour l’accès aux ressources, avertissent les experts qui recommandent « d’anticiper » des distributions d’aliments pour le bétail dans les zones d’accueil des troupeaux.

Besoins de financement criants

Les experts ont aussi déploré le mauvais fonctionnement des marchés alimentaires locaux ou de bétail, « fortement perturbés » par « l’insécurité civile », « la recrudescence du grand banditisme », mais aussi « la fermeture de frontières entre le Nigeria et ses voisins beninois et nigériens » qui bloque les échanges commerciaux, notamment de bétail. Les éleveurs transhumants, souvent peuls, touaregs ou maures, sont « preneurs de solutions permettant de réduire l’amplitude des transhumances, et leur permettant d’accéder aux services de base » a pour sa part indiqué à l’AFP Blamah Jalloh, cordonnateur du réseau RBM des « éleveurs mobiles » qui réunit 75 organisations d’éleveurs dans neuf pays de la région, soit quelque deux millions d’éleveurs au total.« Il faut qu’ils développent la production de fourrage » pour leurs animaux, a jugé le ministre du Niger. Mais les besoins de financement sont criants. Pour faire avancer l’agriculture dans une région aussi aride, il faut améliorer la gestion de l’eau, construire des retenues, développer des systèmes de lutte contre le gaspillage par le stockage alimentaire. La réunion s’est terminée sur un appel aux bailleurs de fonds pour financer des projets structurants et non la seule aide alimentaire d’urgence.« L’agriculture seule ne peut pas régler seule le problème du jihadisme, mais le développement peut aider à le contrer » a estimé le ministre du Niger. Pour Blamah Jalloh, « l’agriculture est un vecteur de paix ».