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Dans les Deux-Sèvres

Contre les bassines, la manifestation tourne rapidement à l’affrontement


AFP le 25/03/2023 à 15:00

Une nouvelle manifestation interdite contre les bassines, devenues le symbole des tensions autour de l'eau, donne lieu à de violents affrontements samedi dans les Deux-Sèvres, où des milliers de personnes ont convergé dont de nombreux militants radicaux, éclipsant le débat sur l'accès à l'eau. (article mis à jour à 19h)

Mise à jour de l’article à 19h

Une trentaine de gendarmes et manifestants ont été blessés selon les autorités mais les organisateurs évoquent un bilan beaucoup plus lourd, avec une personne entre la vie et la mort, information non confirmée dans l’immédiat.

Les assaillants ont fait usage « de mortiers d’artifices, de chandelles romaines et de cocktails molotov de forte contenance » parmi d’autres projectiles, selon la gendarmerie qui a riposté en tirant 4 000 grenades de gaz lacrymogènes et de désencerclement, et en utilisant des LBD.

Au bout d’une heure, la foule refluait dans un épais nuage de fumée, tandis qu’intervenaient des forces de l’ordre sur des quads, « une sorte de BRAV-M des champs », a raconté à l’AFP Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, présente sur les lieux. Allusion à l’unité de police motorisée mise en cause dans les manifestations contre la réforme des retraites.

Selon un bilan actualisé par les autorités, sept manifestants et 24 gendarmes ont été blessés, avec de chaque côté un blessé grave traité en urgence absolue et héliporté par les secours.

Mais les organisateurs du rassemblement font état, eux, de « pas moins de 200 » manifestants blessés, dont dix hospitalisés et un dans le coma avec pronostic vital engagé, dénonçant une « violence criminelle » des forces de l’ordre. L’information n’a pas été infirmée ou confirmée dans l’immédiat par la préfecture.

Des témoins interrogés par l’AFP et des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme ont déploré par ailleurs que la prise en charge d’un blessé grave ait été retardée par les autorités ; la préfecture des Deux-Sèvres a répondu que le dispositif prévoyait une escorte des secours par les gendarmes pour assurer leur sécurité.

Un long cortège a commencé à défiler en fin de matinée, composé d’au moins 6 000 personnes selon la préfecture et d’environ 25 000 selon les organisateurs – le collectif d’associations « Bassines non merci », le mouvement écologiste des Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne.

Plus de 3 000 gendarmes et policiers ont été mobilisés par les autorités, alors qu’« au moins un millier » d’activistes violents, en partie venus de l’étranger dont l’Italie, « prêts à en découdre avec les forces de l’ordre », sont présents.

La manifestation, interdite comme la dernière à l’automne, a convergé vers la « bassine » de Sainte-Soline, surnom donné par leurs adversaires à ces réserves d’eau en construction dans la région pour l’irrigation agricole.

« Le but, c’est d’approcher et d’encercler la bassine pour faire stopper le chantier », a affirmé un membre des Soulèvements de la Terre au départ du cortège qui s’est ensuite scindé en plusieurs groupes à cette fin.

À l’approche du chantier, défendu par les forces de l’ordre, de violents affrontements ont éclaté rapidement avec des militants radicaux, à coups de multiples jets de projectiles, de tirs de mortier et d’explosifs d’un côté ; de gaz lacrymogènes et de canon à eau de l’autre, selon des journalistes de l’AFP.

Chaîne humaine gigantesque autour de la bassine de #SainteSoline en construction. 25000 personnes dans le Poitou pour défendre l’eau et l’agriculture paysanne ! #StopBassine Oui au partage de l’eau ! pic.twitter.com/7wAc0xf8IP

— Conf’ Paysanne (@ConfPaysanne) March 25, 2023

Vers 13h30, les abords de la bassine ressemblaient à une scène de guerre, avec de très nombreuses détonations, qu’observaient de loin, et au son des bandas, la plupart des manifestants restés pacifiques. Plusieurs véhicules de gendarmerie ont pris feu sous les vivats de certains.

Aucun bilan n’a été fourni pour l’instant. Plusieurs gendarmes ont été blessés, selon une source proche du dossier ; des blessés sont « en cours d’évacuation ou de localisation », selon la préfecture. Un photographe de presse a été touché à la tête et les organisateurs ont fait état d’un blessé « en urgence vitale ».

Affrontem*nts extrêmement intenses à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres où plusieurs milliers de personnes manifestent contre le projet de méga-bassines. Des fourgons de gendarmerie incendiés (PhoThéO/Facebook) #SainteSoline#megabassinespic.twitter.com/k6AhRv89wR

— Anonyme Citoyen (@AnonymeCitoyen) March 25, 2023

« À Sainte-Soline, l’ultra gauche et l’extrême gauche sont d’une extrême violence contre nos gendarmes. Inqualifiable, insupportable », a réagi dans un tweet le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

« C’était un scénario écrit d’avance avec un positionnement démesuré de forces de l’ordre », a déploré à l’inverse le sénateur EELV d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon, venu manifester avec d’autres élus écologistes et LFI.

« Il y a des dizaines de milliers de personnes qui sont venues manifester en tout pacifisme, pour essayer de protéger notre accès à l’eau, c’est pas un petit sujet en ce moment », a souligné de son côté Sandra Regol, députée EELV du Bas-Rhin, sur BFMTV.

« Je n’ai aucun problème avec cette violence, même si je n’y prends pas part. Il y a de la violence partout en ce moment, à commencer par cette réforme des retraites (…) Je comprends que des gens aient la rage », a déclaré à l’AFP l’un de ces manifestants, un trentenaire venu du nord de la France.

« Faire front »

« Alors que le pays se soulève pour défendre les retraites, nous allons simultanément faire front pour défendre l’eau », revendiquent les organisateurs, qui ont installé un campement à quelques kilomètres de Sainte-Soline, sur la commune de Vanzay, en bordure du périmètre d’interdiction.

« Ne tombez pas dans la violence, la vraie violence c’est celle de l’État », avait précédemment lancé à la foule Julien Le Guet, porte-parole de « Bassines non merci », sous le coup d’un contrôle judiciaire qui le prive de manifestation.

Le dispositif de sécurité est deux fois plus important que lors de la dernière manifestation. « Il y a une très grande mobilisation de l’extrême gauche et de ceux qui veulent s’en prendre aux gendarmes et peut-être tuer des gendarmes et tuer les institutions », avait justifié Gérald Darmanin vendredi sur Cnews.

Des armes avaient été saisies en amont du rassemblement – boules de pétanque, frondes, lance-pierres, produits incendiaires, couteaux et haches selon la gendarmerie – et 11 personnes interpellées, dont sept sont actuellement en garde à vue, selon le parquet de Niort.

Plusieurs élus EELV et LFI manifestent samedi, tandis que des observateurs des pratiques policières mandatés par la Ligue des droits de l’Homme doivent « documenter le maintien de l’ordre » durant le week-end.

Substitution

La bassine de Sainte-Soline fait partie d’un ensemble de 16 retenues, d’une capacité totale d’environ six millions de mètres cubes, qui doivent être construites dans le cadre d’un projet porté par une coopérative de 450 agriculteurs, soutenu par l’État mais contesté de longue date.

Il vise à stocker de l’eau puisée dans les nappes superficielles en hiver, afin d’irriguer les cultures en été quand les précipitations se raréfient, selon un principe de « substitution ». Ses partisans en font une condition de la survie des exploitations face à la menace de sécheresses récurrentes.

Son coût de 70 millions d’euros est financé à 70 % par des fonds publics en échange de l’adoption de pratiques agroécologiques par les bénéficiaires, une vaine promesse selon les opposants qui dénoncent un « accaparement » de l’eau par « l’agro-industrie » à l’heure du changement climatique.

« Il y a seulement 6 % de la surface agricole utile qui est irriguée en France et il y a 100% des agriculteurs qui subissent la sécheresse », a déclaré Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, samedi sur RMC. Le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, a défendu quant à lui sur France Inter un projet « exemplaire » en termes de « sobriété » agricole.