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Artificialisation du foncier agricole

À Château-Thierry, le « zéro artificialisation nette » vécu comme une punition


AFP le 25/02/2023 à 08:04

À l'orée des vignes de Champagne, Château-Thierry, dans l'Aisne, se réveille d'un long déclin démographique accéléré par la désindustrialisation. Mais l'objectif national de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols en 2050, qui vise à réduire l'extension des villes, y est perçu comme une menace pour le développement de la commune.

Ville de Jean de La Fontaine et des biscuits Pépito Belin rachetés par LU, Château-Thierry, 15 500 habitants, connaît un regain d’attractivité dû à sa position géographique, à moins de 100 kilomètres de Paris et près de l’autoroute A4.

« Nous avons aujourd’hui une demande très importante de foncier, tant pour l’habitat que pour l’industrie, liée au fait que Château-Thierry est de plus en plus sous l’influence de la région parisienne, qui continue de s’étaler, avec des gens qui travaillent à Paris et télétravaillent ici », observe le maire Sébastien Eugène (Parti radical).

Mais l’objectif de limiter l’artificialisation des sols, l’une des causes premières du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité, pour atteindre le « zéro artificialisation nette » en 2050, pourrait rebattre les cartes.

Car si Château-Thierry a pu « s’étaler » après guerre sur ses coteaux nord en construisant des lotissements et des logements sociaux, puis en développant une zone industrielle intercommunale de plus de 100 hectares, les quotas fonciers se sont « d’un seul coup extrêmement réduits avec le ZAN », reconnaît le maire.

S’il ne remet pas en cause la nécessité d’aller vers plus de sobriété foncière, l’objectif ZAN pèche selon lui par sa « méthode de calcul », basée sur la consommation foncière des 10 dernières années.

« Cela pénalise les territoires qui ont peu consommé, notamment les plus vertueux ou ceux qui n’avaient pas de demande. On risque de figer les inégalités d’autant que ceux qui ont beaucoup consommé auront, eux, plus de quotas », regrette Sébastien Eugène.

Ce sentiment « d’injustice », Luc Laratte, président de l’Union des industriels du sud de l’Aisne (UISA), le partage. Il redoute que le ZAN ne vienne freiner le développement économique dans l’un des départements « les plus pauvres de France ».

« Foire d’empoigne »

Installée dans une zone d’activité de la ville rattrapée par l’urbanisation, son entreprise, 3 Axes, spécialisée dans les profilés en aluminium, est à l’étroit.

« On cherche 10 000 m2 pour s’agrandir mais c’est la foire d’empoigne pour le foncier et il n’y a plus de friches. La dernière est partie aux enchères quasi instantanément », déplore-t-il, en relevant une « hausse des prix du foncier » tirés par l’arrivée d’entreprises franciliennes.

Si la loi Climat instaurant le ZAN a lancé dès 2021 le top départ du décompte des quotas fonciers, les maires ignorent toujours l’enveloppe précise d’hectares dont ils disposeront à l’avenir et comment seront décomptés certains projets d’intérêt national (lignes LGV, prisons) ou local (piscine intercommunale). Beaucoup se demandent aussi pourquoi les parties végétalisées ou renaturées ne sont pas décomptées des terres artificialisées.

En 2022, la publication des premiers décrets d’application du ZAN avait suscité une opposition unanime des maires face à une application jugée « arithmétique et indifférenciée ». Pour sortir les collectivités du flou, une proposition de loi du Sénat sera discutée le 14 mars. « On demande aux maires de loger des habitants et de créer de l’emploi sans artificialiser, le tout sans transition, sans pédagogie et sans moyens », observe Jean-Baptiste Blanc, rapporteur LR du texte.

Les députés ont également dégainé leur propre proposition de loi.

Les retombées positives se ressentent déjà dans le centre-ville

En attendant, le maire de Château-Thierry reste autorisé à urbaniser neuf hectares de terres agricoles pour implanter 120 chalets touristiques, mais cette réalisation « empêchera d’autres projets futurs », précise-t-il.

Non loin, la zone industrielle doit également s’agrandir sur 20 hectares, mais la mairie ne pourra y loger que de « petits projets », moins pourvoyeurs d’emplois, faute de quotas.

Des projets que l’association écologiste Vie et Paysages, affiliée à FNE, ne comprend pas toujours. « On a déjà beaucoup artificialisé depuis les années 1970 à Château-Thierry et mieux vaudrait construire du logement à l’année si l’on doit encore s’étaler », estime son président Jacques Franclet, pour qui « les arrangements avec le ZAN, s’il doit y en avoir, doivent rester marginaux ».

Dans le centre-ville, où se concentre l’habitat dégradé, les retombées positives du ZAN se ressentent pourtant déjà. « Les promoteurs ne pouvant plus s’étaler, ils sont obligés de se concentrer sur les verrues urbaines et de trouver des solutions », se félicite le maire.