« Entreprendre pour améliorer performances, revenu et lien avec la société »
TNC le 17/07/2025 à 12:26
Tel est le point commun entre les quatre jeunes agriculteurs et agricultrices, installé(e)s en grandes cultures, en finale du concours Graines d’agriculteurs 2025. Ils nous expliquent comment ils y parviennent concrètement.
Les finalistes de Graines d’agriculteurs 2025 viennent d’être dévoilés. Pour cette 15e édition, ils sont 15 et non 10 comme habituellement, aussi parce que, depuis cette année, le concours organisé par Terres Innovantes comporte des catégories. Pour chacune (« agriculture durable », « biodiversité », « territoire », « diversification » et « installation »), trois candidat(e) s sont en lice. Du 11 juillet au 8 septembre, le public pourra voter sur le site www.graines-agriculteurs.fr pour son jeune agriculteur/jeune agricultrice préféré(e).
Autres nouveautés : il pourra le faire une fois par jour pour les cinq catégories, et son vote, comme celui du jury, compteront pour 50 % dans le choix des cinq lauréats (et non plus trois comme auparavant) récompensés aux Terres de Jim, les 12, 13 et 14 septembre à Vieux-Manoir (Seine-Maritime), par une dotation de 3 000 € visant à les aider dans leurs projets.
Quatre jeunes producteurs/productrices de grandes cultures, de céréales notamment, ont été retenus pour concourir lors de cette phase finale : Jean Harent (« agriculture durable »), Olivia Beaumont (« installation »), Clémentine Blain et Gaëtan Savary (« territoires »). Depuis son installation sur la ferme, dans la famille depuis cinq générations, en août 2022 à Sauvillers-Mongival dans la Somme, Jean Harent mise en effet sur l’agriculture durable et l’agroécologie pour, tout en diminuant les intrants (produits phytosanitaires et balance globale azotée), s’adapter au changement climatique et préserver les rendements, ces derniers étant impactés par les brusques variations entre sécheresse et excès d’humidité principalement.
« Viser une résilience de rendements quel que soit le scénario climatique »
En outre, les parcelles de l’exploitation, déjà argileuses et séchantes, sont exposées aux vents dominants asséchants. Le premier objectif du jeune agriculteur est donc de « limiter les externalités et les fluctuations brutales du climat, entre manque et surplus d’eau surtout, casser les vents dominants asséchants, créer un microclimat en parcelles avec des sols vivants ». Autrement dit : « atteindre une certaine résilience de rendement quel que soit le scénario climatique de l’année. » Il essaie, au maximum, « d’avoir une approche systémique, holistique et long termiste s’appuyant sur un mix technologies/agronomie ». Il utilise, entre autres, pas mal d’OAD afin « d’optimiser le recours aux phytos et fertilisants ».
« Combo sol vivant/agroforesterie »
Concrètement, il a diversifié son assolement avec une quinzaine de cultures – des céréales, des oléoprotéagineux et pas mal de légumineuses petites graines et porte-graines, en couverts en particulier. Sur 400 ha, il cultive blé, orge, avoine, maïs, sorgho, colza, tournesol, pois, féverole, luzerne, lin et pommes de terre. Bénéfique aux rotations, cette diversification permet également de « répartir les risques ». Parmi les autres pratiques adoptées : le semis direct, l’agriculture de conservation des sols, l’utilisation de biostimulants et la restitution de la paille au sol pour augmenter le taux de matière organique. Le tout en synergie avec l’agroforesterie. L’exploitant, qui a planté 22 km de haies et plus de 40 espèces au milieu de bandes non fauchées, parle même de « combo sol vivant/agroforesterie »
Sur les parcelles bordées de bois, nous gagnons en quintaux.
Il espère ainsi diminuer l’érosion, accroître la biodiversité et stocker davantage de carbone dans les sols. Les résultats sont déjà encourageants : empreinte carbone positive, présence de nombreux insectes pollinisateurs/auxiliaires et nidification d’oiseaux, dont certains sont en voie de disparition, lutte contre les mulots. « Dans les parcelles sans haie, les mulots représentent un défi majeur. Dans celles qui en contiennent, ils sont prédatés », détaille Jean avant d’ajouter : « Je choisis où j’implante les haies, en fonction de mes besoins. Je ne les subis pas. » En plus, le « bonus haies » de la Pac compense les coûts d’entretien. Et si celles-ci réduisent la SAU de 5 ha, les rendements sont meilleurs et plus réguliers. « Sur les parcelles bordées de bois, nous gagnons en quintaux car il y a moins d’évapotranspiration. »
Le jeune homme de 32 ans estime que ces évolutions sont le fruit de son parcours qui lui « a permis de prendre de la hauteur par rapport à l’exploitation et d’être plus ouvert dans les prises de décision ». Diplômé d’une école de commerce et d’un master en marketing, il a travaillé plusieurs années dans des entreprises en lien avec le milieu agricole. « On tâtonne pour trouver des itinéraires techniques plus robustes, moins émissifs et plus rémunérateurs. Le modèle que j’ai mis en place donne du sens à mon métier d’agriculteur et peut susciter des vocations », conclut-il ayant encore plein d’idées en tête comme implanter de la vigne sur ses terres.
L’agritourisme pour animer le territoire
Clémentine Blain, elle, a pris la suite de son père en octobre 2024 à Fabrègues dans l’Hérault : 35 ha de céréales irrigables (blé, maïs, orge) en agriculture biologique. Après un cursus agricole (lycée, BTS, licence), cette fille et petite-fille d’agriculteurs a été commerciale dans un négoce puis salariée chez un paysan boulanger. De là lui est venu l’envie de créer son fournil sur l’exploitation familiale. C’est son projet d’installation agricole : transformer son blé en farine, puis en pain et biscuits, en vente directe à la ferme. Mais des contraintes d’accès à l’eau l’ont mis en stand by. Dans l’attente d’une solution, ayant à cœur de recevoir les consommateurs sur son exploitation, et puisque celle-ci est située dans une zone qui attire les touristes, elle a aménagé une aire de camping-car. Ouverte toute l’année, Clémentine y héberge 300 véhicules par an.
Cette activité d’agritourisme offre un débouché à ses produits : la jeune femme de 25 ans a acheté un moulin et commercialise la farine durant la saison estivale et touristique. Pour développer la commercialisation en circuits courts, elle démarche les boutiques bio, les magasins de producteurs, les boulangers, et espère installer un point de vente à la ferme, où elle distribuera aussi les produits d’autres producteurs. Afin de compléter son offre agritouristique, elle a remis en route le labyrinthe de maïs initié par son père et propose un escape game sur l’histoire locale, en lien avec la découverte archéologique ayant eu lieu dans l’un de ses champs. Elle envisage même d’organiser une porte ouverte pour les prochaines journées du patrimoine.
« Ici, c’est un grand laboratoire »
Animer le territoire via l’accueil à la ferme est également le leitmotiv de Gaëtan Savary, 28 ans, qui a décidé de s’installer en agriculture en 2022 à Farbus dans le Pas-de-Calais, après une formation agricole (lycée, BTS) et avoir travaillé quelques années dans la vente et la communication pour une entreprise de produits locaux. Chaque année, 100 à 150 classes viennent découvrir son exploitation de 88 ha de grandes cultures (blé, maïs grain, pois, betterave sucrière, lin), labellisée « Savoir vert », autour de deux thématiques : les animaux et la fabrication de pain à partir du blé. « L’association qui fait vivre le label nous fournit des supports et nous permet de nous former. Nous sommes bien accompagnés », souligne-t-il. Le jeune exploitant loue également une salle de réception et des logements insolites. Au menu : visite de la ferme et de la région alentour grâce à des partenariats avec plusieurs lieux touristiques.
« Nous aimons montrer aux gens comment nous travaillons, leur faire découvrir l’agriculture, contribuer à faire changer les mentalités », témoigne-t-il. Ces activités sont vite montées en puissance. Après un an seul aux manettes, sa femme est venue l’épauler, à mi-temps puis à temps plein. Cela n’a pas empêché d’autres projets de germer comme celui d’une ferme itinérante avec médiation animale pour les personnes en Ehpad, qui ne peuvent pas se déplacer, à l’initiative d’une stagiaire. « J’aime entreprendre de nouvelles choses, dans le but de renforcer le lien avec le territoire et d’améliorer le revenu agricole », pointe-t-il. Aujourd’hui, la structure fait vivre trois personnes : Gaëtan, son épouse et sa stagiaire qu’il a pu embaucher. « Ici, c’est un grand laboratoire, résume le jeune producteur qui imagine peut-être un jour accueillir un marché voire un festival.
« Nous nous sommes découvert de nouvelles passions et compétences »
Dans le Maine-et-Loire, Olivia Beaumont, 39 ans, a d’abord rejoint son mari, chef de culture, dans une grande entreprise agricole, en tant qu’assistante, suite à des études de commerce et un emploi de vendeuse. « Nous y avons forgé notre expérience, mais en avions fait le tour. Nous voulions être les pieds dans les bottes et les mains dans la terre, redonner du sens à notre projet professionnel », raconte-t-elle. Le départ en retraite de deux agriculteurs et amis près de chez eux leur a donné l’opportunité, en janvier 2024, de s’installer en agriculture et de reprendre une ferme céréalière, deux plus exactement, une pour chacun, réunies sous la même entité juridique et comptant au total 130 ha de céréales, blé et tournesol essentiellement.
« Ils voulaient transmettre leurs fermes à des personnes ayant un projet à taille humaine », relate Olivia. Là encore, l’accueil, les relations avec les clients, la communication sont essentiels. « Nous devons nous démarquer, communiquer pour aller au-devant des gens », juge l’agricultrice qui veille à son image de marque, qui doit être professionnelle et authentique. Une reprise d’exploitations viable parce que le couple s’est diversifié avec 2 ha de pépinière fruitière. Aujourd’hui, tous deux sont « heureux d’être agriculteurs » même s’ils font beaucoup d’heures.
« Notre petite structure nous permet plus de flexibilité et nous retrouvons du sens dans notre travail », justifie Olivia. Cette première année a été très riche : « il a fallu tout construire, nous nous sommes découvert de nouvelles passions et compétences », appuie-t-elle, appréciant d’être libre de ses choix et de la façon de s’organiser. « Et si c’était à refaire, on le referait 10 fois ! », lance-t-elle. L’important, selon la jeune installée, est d’être fier de son travail. Le challenge : trouver le bon équilibre de temps. « Au bout d’un an et demi, on touche du doigt le bon rythme. Nous avons pu reprendre la course à pied et commencer la salsa ! »