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En Italie

Que se cache-t-il derrière les fromages AOP et le prix du lait italien ?


TNC le 24/01/2022 à 06:02
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Avec une pression foncière élevée, les éleveurs italiens sont contraints d'acheter une grande partie de leur alimentation, ce qui fait gonfler leurs coûts de production et les rend plus vulnérables à la volatilité des prix. (©TNC)

En Italie, la bonne valorisation du lait en fromages AOP incite les éleveurs à produire plus. Bonne nouvelle ? Pas sûr car pour produire plus, ils ont systématiquement recours aux achats d'aliments, ce qui fait gonfler leurs coûts de production et rend les élevages très sensibles à la volatilité des marchés. L'Institut de l'élevage nous éclaire sur ce système en plein essor.

« Depuis la suppression des quotas laitiers, la filière laitière italienne connaît un essor à faire pâlir d’envie l’Allemagne et la France, et ses principaux partenaires commerciaux. » C’est ce qu’affirme l’Institut de l’élevage qui a analysé de près ce bond en avant. Alors, quel est leur secret ?

Des fromages AOP pour une bonne valorisation du lait

« Les emblématiques Grana Padano, Parmigiano Reggiano et Gorgonzola absorbent 40 % du lait italien et sont très prisés à l’export. » Grâce aux fromages AOP, le prix du lait est plus élevé en Italie qu’en France : il s’est établi en moyenne annuelle sur 2020 à 371 €/1000 l (+7 % // France). « Sur cinq ans, de 2015 et 2020, le prix moyen pondéré du lait italien était 14 % plus élevé que le prix du lait français. »

Prix du lait standard chez les principaux producteurs européens. (©Idele)

Et depuis le fin des quotas, les systèmes d’élevages productifs (concentrés au Nord, notamment dans la plaine du Pô) ont fait progresser la collecte nationale.

La production laitière a bondi de + 10 % en 5 ans.

Cet essor a permis de faire plus de fromages et de réduire les importations de produits de base, comme le lait vrac bon marché. Soit dit en passant, ce gain d’autonomie est défavorable à la France où les exportations ralentissent et les achats de fromages AOP italiens augmentent. Sur ce point, l’Idele l’affirme : « le solde commercial de la France est ainsi devenu négatif depuis 2018. »

L’essor laitier met la pression sur le marché foncier

Qui dit produire plus, dit normalement besoin de plus de surfaces. Et c’est là que ça coince : la valeur du foncier agricole ne cesse de grimper. Bien que la dernière enquête date de 2016, elle fait état de prix moyen de l’ordre de :

  • 47 500 €/ha pour les terres arables en plaine dans le Nord (+ 14 % en 7 ans)
  • plus de 100 000 €/ha dans la région touristique de Vénétie.

Le constat est clair : « Le prix du foncier représente donc un obstacle important à l’agrandissement des élevages déjà existants… et une barrière quasi infranchissable pour l’entrée de nouveaux éleveurs. »

Les élevages soumis aux achats d’aliments croissants

Pour augmenter leur production, les éleveurs ont alors actionné plusieurs leviers : l’amélioration génétique, des investissements techniques et matériels, mais aussi le recours intensif à la complémentation. « Selon le Rica européen, les élevages italiens consacrent 182 €/tonne de lait à l’alimentation du troupeau laitier, contre 107 € en France (et 126 € en moyenne dans l’UE-28).

La consommation de concentrés est estimée à 10 kg/VL/j dans les élevages intensifs de plaine du Pô. Et pour ne rien arranger, l’acheminement des matières premières par bateau est plus coûteuse en Italie en raison des infrastructures portuaires de petite taille.

L’Institut de l’élevage met en avant le contraste des systèmes d’élevage italiens sur une carte :

Deux tiers du cheptel laitier est concentré dans la plaine du Pô (zones 2 et 3 sur la carte). (©Idele)
1. Petites exploitations2. Grandes exploitations3. Zone AOP Parmigiano Reggiano4. Exploitations de taille moyenne
• Dimensions : moins de 30 VL
• Rendements : 3000–5000 kg/vache/an -> x2,5 en 30 ans
• En moyenne, 143 tonnes/exploitation
• Coût de production: 860 €/t
• Races Brune, Pie-Rouge (ou Fleckvieh)
• Étage agroécologique : montagne alpine
• Alimentation : pâturages, concentrés -> forte dépendance aux aliments achetés
• Destination du lait : fromages typiques (pas d’AOP majoritaire)
• Pluriactivité des exploitants + activité fermière + vente directe
• La production de viande bovine peut concurrencer la production laitière : nombreuses exploitations à vocation mixte.
• Plus de 150 VL (52% des exploitations)
• Rendements : 8000–10000 kg/vache/an -> x5 en 30 ans, grâce à des investissements techniques
• En moyenne, 741 tonnes/exploitation
• Coût de production: 463 €/t
• Race: Holstein
• Étage agroécologique : plaine
• Alimentation: ensilage
• Destination du lait : produits laitiers frais (lait, yaourt, beurre) + fromages AOP (Grana Padano, Gorgonzola, Asiago)
• Grana Padano : 50 % coopératives.
• Livraisons du lait majoritaires
• Le cheptel bovin allaitant est aussi important dans cette région
• Les grandes exploitations prennent le pas sur les autres systèmes dans le Nord.
• Dimensions: 50–100 VL
• Rendements : 6500–7500 kg/vache/an
• Coût de production: 589 €/t
• Race: Holstein
• Étage agroécologique : collines/plaines/petite montagne
• Alimentation : foin
• Destination du lait : fromages AOP
• Pas de cheptel allaitant
• Secteur principalement coopératif (80 %).
• Dimensions: 50-100 VL
• Rendements: 6500–8000 kg/vache/an
• Coût de production: 481 €/t
• Race: Holstein
• Étage agroécologique : plaine
• Alimentation : foin et ensilage
• Destination du lait : produits laitiers frais, fromages à pâte
filée.

Les attentes sociétales et environnementales au second plan

En parallèle, l’agriculture dans la plaine du Pô est particulièrement confrontée à des enjeux environnementaux et la filière laitière est pointée du doigt. La Commission européenne a déjà épinglé le pays pour plusieurs manquements, comme la directive nitrate ou le non-respect des périodes d’épandage.

D’autre part, la zone est devenue critique en termes de concentration de polluants dans l’air, ce qui sensibilise l’opinion publique et fait pression sur la filière laitière. « Les actions pour y répondre sont très souvent régionalisées et peu coordonnées, faute d’une organisation structurée de la filière, et les pouvoirs publics ne se pressent pas pour les accompagner », explique l’Institut de l’élevage. Mais jusqu’à quand ? Quel avenir pour la filière laitière italienne ?

Retrouvez tous les détails dans le dossier de l’Idele : Les fromages AOP, moteurs de l’essor de l’Italie laitière