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Filière laitière bio

L’explosion de la production de lait bio va-t-elle faire évoluer le modèle ?


TNC le 29/05/2020 à 06:02
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Si les deux premières vagues de conversions dans la filière laitière biologique étaient surtout le fait de la production, la troisième vague, qui intervient depuis 2016, est soutenue aussi par la transformation et l’aval de la filière, signe d’un véritable changement d’échelle qui ne va pas sans susciter d’interrogations quant au modèle de développement souhaitable à l’avenir.

Depuis l’émergence d’une filière laitière biologique, au début des années 1990, trois vagues de conversions peuvent être identifiées : une première au début des années 2000, une deuxième autour de 2010, et une troisième, amorcée depuis 2017. Si la crise de 2016 a forcément joué un rôle dans ce dernier mouvement de conversion, celui-ci est cependant particulier par son ampleur, explique l’Idele dans son dossier Économie de l’Élevage d’avril 2020.

Partant de 1 % de la collecte laitière nationale en 2008, la collecte de lait de vache bio a dépassé la barre des 4 % en 2019, et le milliard de litres collecté sur 12 mois a été dépassé en mars 2020, soit deux fois plus qu’en 2014.

Une hausse spectaculaire entre 2015 et 2018

La collecte a enregistré une hausse colossale de près de 280 millions de litres (+ 49 %) entre 2015 et 2018 pour atteindre près de 850 millions de litres selon l’Enquête Annuelle Laitière. Le nombre de livreurs certifiés, qui n’avait augmenté que de 140 exploitations entre 2012 et 2015 (+ 7 %), a, quant à lui, enregistré plus de 1 100 entrées supplémentaires sur la période 2015-2018 (+ 52 %), indique l’Idele.

Lire : 2018, année record pour la production de lait bio en France

Près de 88 000 vaches laitières supplémentaires ont été converties entre 2015 et 2018 (ou sont encore en conversion), contre + 16 000 entre 2012 et 2015, portant leur total à un peu plus de 220 000, soit 6 % du cheptel laitier national.

Les livraisons restent concentrées dans l’Ouest, la Bretagne et les Pays de la Loire étant les deux régions les plus productrices, représentant 41 % de la collecte nationale avec respectivement 176 et 172 millions de litres de lait livrés en 2018. Les trois quarts de la collecte de lait bio sont réalisés par quatre opérateurs : Biolait en tête, suivi par Lactalis, Sodiaal et Eurial.

Lire également : Saisonnalité : quelle ration pour produire du lait bio en hiver ?

En 2019, le prix moyen du lait biologique payé aux livreurs toutes primes et qualités confondues aurait atteint 476 €/1 000 litres en moyenne, une progression de près de 8 € par rapport à l’année 2018. Depuis 2015, l’écart de prix avec le lait non bio est resté supérieur à 100 € / 1 000 litres.

Lire aussi : Prix du lait : en 2019, Biolait aura versé 22 € / 1 000 litres de plus qu’en 2018 à ses adhérents

Transformateurs et distributeurs tirent la demande…

Signe d’un véritable changement d’échelle, les transformateurs se sont aussi tournés de façon massive vers le lait biologique. Trois entreprises ont réalisé à elles seules près de 80 % des 320 millions de litres fabriqués en 2018 : Lactalis, Sodiaal et la Laiterie Saint-Denis-de l’Hôtel (LSDH). Lactalis occupe la première place avec 36 % de part de marché en valeur (contre un peu plus de 20 % sur l’ensemble des laits longue conservation) tandis que Sodiaal, via sa marque Candia, n’en revendique que 12 %. Le reste du marché est essentiellement occupé par les marques distributeurs, pour lesquelles ces trois entreprises sont fabricantes.  

Les fromagers se sont également inscrits dans cette dynamique, notamment les deux poids lourds Bel (avec une « Vache qui rit » bio) et Savencia.

À noter que le marché des poudres à base de lait biologique se développe. En 2018, neuf sites ont fabriqué des poudres de lait bio (dont 5 plus de 500 tonnes) totalisant plus de 8 500 tonnes, contre seulement deux sites pour 318 tonnes en 2009.

…soutenus par les consommateurs

Il faut dire que la consommation soutient la production. Ainsi, le lait et les produits laitiers représentent 12 % des achats de produits biologiques des ménages en 2018, d’après l’Agence Bio. Des achats réalisés en majorité dans la grande distribution qui, si elle ne représente que 49 % des achats de produits alimentaires, a en revanche une part de marché de 82 % pour le lait liquide et de 62 % pour les autres produits laitiers.

Les ventes de lait biologique conditionné ont représenté 9 % des volumes de laits liquides achetés par les ménages en 2018, contre 5,4 % en 2014. Sur le beurre et les produits ultrafrais, le bio occupe également une part de marché conséquente dans les achats des ménages et a connu de fortes croissances, passant de 2,5 % à 5,2 % de part de marché sur le beurre en 5 ans, et de 2,2 à 5,2 % sur les ultrafrais sur la même période. En revanche, sur le segment des fromages, qui est globalement un secteur en croissance, le bio progresse moins, peut-être en raison des prix élevés et de la concurrence des AOP et IGP, qui ont la confiance des consommateurs.

Vers plus de segmentation

Alors que l’aval de la filière est désormais massivement engagé dans le bio, des questions se posent quant à la valorisation. Pour les opérateurs de l’aval, la segmentation et l’innovation seront sans doute des facteurs clés de différenciation. Ainsi, certains opérateurs évoquent le besoin de se démarquer en élevant les standards de leur production par rapport au cahier des charges de la bio tout en veillant à préserver un socle commun, ce qui peut passer par l’origine des aliments, le bien-être animal, l’empreinte écologique ou encore la conclusion d’accords transparents basés sur les principes du commerce équitable.

Quant au risque d’une crise de croissance, il semble pour le moment écarté. La plupart des opérateurs aujourd’hui craignent plutôt de manquer de lait à moyen terme, le marché restant très demandeur. Et cette crainte se justifie d’autant plus que les fermes non converties lors de la dernière vague « se sont pour la plupart engagées dans une course aux volumes », et que « le réservoir de fermes « convertissables » à l’avenir interroge certains opérateurs », indique Idele.

Pour satisfaire un marché qui continue de recruter, la filière s’orientera-t-elle vers un modèle bio à deux vitesses, l’un reproduisant le schéma d’agrandissement connu en conventionnel et l’autre reposant sur des éléments « bio-différenciants » allant au-delà des standards du cahier des charges ? L’enjeu sera alors de ne pas perdre en lisibilité et en crédibilité auprès du consommateur.

Lire aussi : Filière laitière bio : de l’ambition, mais une visibilité limitée, faut-il franchir le cap ?