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CIA Crespelle (35)

Le dernier centre d’insémination privé de France fait de la résistance !


TNC le 02/03/2020 à 09:18
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Fondé en 1961, le centre d'insémination de la Crespelle est aujourd'hui le dernier CIA privé de France. Tandis que l'épisode de la loi sur l'élevage de 1966 a écrasé quasiment toutes les entreprises d'insémination privées, la Crespelle a su résister face aux grandes coopératives et compte aujourd'hui plus de 200 reproducteurs à son catalogue.

À la limite entre l’Ille-et-Vilaine et la Mayenne se trouve le dernier centre d’insémination artificielle bovine privé de France : le CIA Crespelle. L’entreprise créée en 1961 dispose de sa propre taurellerie pour produire des semences selon un schéma de sélection qui lui est propre : « pour des vaches rentables et durables. »

« On s’intéresse surtout aux performances réelles de l’animal plutôt qu’aux prédictions. Rien de scientifique, que du concret ! », explique Vincent Jouan, petit-fils du fondateur du centre. Avec une dizaine de salariés à La Chapelle-Janson, il travaille comme technicien auprès de son père qui tient aujourd’hui les rennes de l’entreprise familiale.

Vincent Jouan est la 3e génération du CIA Crespelle. Comme son grand-père et son père, il compte bien faire perdurer l’entreprise familiale. (©Sur la route de nos assiettes/CIA Crespelle)

Face aux grosses coopératives, le CIA Crespelle  a mérité sa place

À la Crespelle, on est bien loin des grosses structures avec des grands locaux, des centaines de salariés, etc. Pourtant, l’entreprise propose un choix de plus de 200 taureaux, elle suit près de 2 000 élevages, pose environ 100 000 paillettes/an et exporte sa génétique à l’international. La taurellerie est quant à elle toujours pleine et ici on ne lésine pas sur les moyens lorsqu’on investit dans un reproducteur. « On est déjà montés à 12 000 € pour un taureau », explique Vincent lors de la visite.

Le centre d’insémination de Crespelle (Ille-et-Vilaine) exporte ses semences en Europe et à l’international. (©TNC)

Ces 60 dernières années n’ont cependant pas été de tout repos pour le CIA qui aurait pu, comme beaucoup de ses concurrents, mettre la clé sous la porte. « Dans les années 60, il y avait 21 centres d’IA privés en France et nous sommes aujourd’hui le dernier », déplore Vincent. « La loi sur l’élevage de 1966 visant à cadrer les activités génétiques des productions animales avait institué un monopole aux coopératives concernant les activités d’insémination. » En clair, l’État concentrait ses subventions sur certaines entreprises prédéfinies. « Comme toutes les entités privées, le CIA Crespelle n’avait donc plus aucune aide pour développer sa génétique mais aussi et surtout, il travaillait dans l’illégalité. »

« L’éleveur doit pouvoir choisir ses prestataires, comme il choisit ses fournisseurs »

Autant dire que cette loi a eu de grosses conséquences sur le centre : « N’étant pas reconnu, tout le travail génétique qui était fait était non officiel. Les éleveurs qui travaillaient avec le CIA Crespelle ne pouvaient plus faire de concours, un jeune agriculteur pouvait perdre une partie de sa DJA s’il commandait ses semences chez nous, l’activité à la taurellerie était illégale. »

Comme cité plus haut, toutes les entreprises privées fermaient les unes après les autres : « On a manifesté, mais rien n’y faisait. On a d’ailleurs payé de grosses amendes durant tout ce temps. La note globale s’élève à plus d’1 million d’euros ! » Mais l’entreprise a su résister. « Heureusement, on pouvait compter sur des salariés motivés et des éleveurs qui suivaient. » Et tout ceci n’a pris fin qu’en 2006 lorsque la loi d’orientation agricole a mis un terme à cette situation de monopole. « On regrette que ça ait pris autant de temps. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus aucune concurrence sur le marché. Les éleveurs sont liés à leur coopérative. Ils devraient pourtant pouvoir choisir leurs prestataires, comme ils choisissent leurs fournisseurs. »

Finalement, le CIA Crespelle détient aujourd’hui le monopole du privé : « Toutes ces contraintes nous ont quand même apporté un peu de positif puisqu’on récupère aujourd’hui beaucoup de clients qui se fâchent avec leur coopérative d’insémination. » Vincent affirme par ailleurs que les prestations du centre sont 35 % moins chères qu’ailleurs, « un comble alors que nous sommes un privé et eux des regroupements d’éleveurs. »

« Le génotypage a ses limites alors que le testage est concret »

À l’heure actuelle, l’entreprise n’a pas accès au génotypage car la puce est détenue par les coopératives. « Pour ceux qui le souhaitent vraiment, on peut faire génotyper nos taureaux holsteins en Hollande mais on parlera donc en INET, pas en ISU. » Mais le fait d’être « privé » de génomie ne déplaît pas aux dirigeants du centre. Vincent explique : « Trop de taureaux passent à la trappe juste parce que les prédictions sur le papier sont mauvaises. Nous, on préfère se fier au testage, c’est du concret au moins. »

Les taureaux sont collectés une fois par semaine. Le reste du temps, ils sont logés en case individuelle et certains ont accès au pâturage. Leur alimentation se compose de foin, paille, betteraves et granulés. (©TNC)

La taurellerie compte en permanence une quarantaine de reproducteurs lait et viande toutes races confondues qui sont achetés ou mis en pension. « Quand on repère un mâle intéressant, on cherche à obtenir un ou plusieurs fils puis on réalise les plans d’accouplement en fonction des vaches qu’on voit en ferme pour finalement acheter des veaux et ainsi de suite. »

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Et la stratégie de l’entreprise semble payante puisque ses semences intéressent l’international. « On exporte en Hollande, en Allemagne, en Suisse, en Espagne, en Autriche et même au Mexique. » Quant aux achats, le centre fait venir des mâles à partir du sevrage pour les garder trois ans en moyenne. « Ils sont placés en quarantaine 60 jours pour réaliser une série d’examens avant d’intégrer les autres taureaux », précise Vincent.

Après tant d’années compliquées, le CIA Crespelle est aujourd’hui en rythme de croisière. De beaux projets l’attendent encore comme la réfection de la taurellerie : « Le bâtiment principal est d’origine. On compte le raser pour un faire un plus récent et plus confortable pour les taureaux. » Actuellement, l’entreprise cherche aussi à recruter de nouveaux inséminateurs polyvalents. « C’est l’avantage de la petite entreprise familiale : on fait aussi bien de la mise en place, que de la livraison de semences, des échographies ou encore une partie d’administratif pour ma part », conclut Vincent. D’ailleurs, il semblerait que les salariés se plaisent dans cette entreprise… Joseph Ferron en témoignait d’ailleurs dans Ouest France : l’inséminateur qui vient de prendre sa retraite a passé 57 ans au service du centre.