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Marché des produits laitiers

Fixer à l’avance le prix du lait, une « solution à la crise » ?


TNC le 28/05/2020 à 06:04
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Alors que plusieurs laiteries allemandes proposent déjà aux éleveurs la possibilité d’une fixation des prix à l’avance, la France est en retard, selon Stefan Nether, vice-président du développement produits laitiers chez INTL FCStone. Pourtant, ce système offrirait, selon lui, un avantage non négligeable aux éleveurs : une meilleure visibilité, en toute transparence, pour une meilleure gestion de leur exploitation.

Que ce soit en France ou dans d’autres pays, le prix du lait est fixé selon des modalités complexes et dépend de la conjoncture mondiale. La volatilité des cours peut ainsi faire fortement fluctuer les prix payés aux producteurs et le manque de visibilité sur le long terme peut être un réel problème, surtout en cas de tarifs pas suffisamment rémunérateurs. Face à la crise qui secoue le marché des produits laitiers, sécuriser les incertitudes économiques apparaît essentiel.

Une meilleure visibilité pour réduire l’incertitude des prix

 « La volatilité doit être prise comme une opportunité de fixer les prix par avance », pour Stefan Nether, vice-président du développement produits laitiers chez INTL FCStone (société de services financiers). Des modèles d’anticipation des prix en fonction de contrats avec les clients finaux ou des marchés à terme existent et plus que jamais, « leur utilité fait l’unanimité ».

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« Donner à un éleveur la possibilité de connaître le prix auquel il vendra son lait plusieurs mois à l’avance est essentiel pour la bonne gestion de son entreprise. » Un tel système permet à l’éleveur de réduire l’incertitude des prix et représente notamment une des solutions à la crise que traverse le secteur.

En Allemagne par exemple, le ministre de l’agriculture a demandé aux laiteries de « prendre leurs responsabilités », explique Stefan Nether. C’est ainsi qu’une « Stratégie 2030 » a été signée en janvier dernier par tous les grands acteurs de l’industrie laitière du pays, des syndicats de paysans jusqu’aux unions des industriels en passant par la coopération, qui se sont entendus sur les grandes orientations à suivre durant la prochaine décennie, dont la proposition d’outils de gestion du prix du lait à l’avance pour les laitiers.

Un modèle allemand à suivre ? 

« L’augmentation significative de la volatilité du marché du lait au cours des dix dernières années a eu des conséquences négatives pour l’industrie laitière. Face à ce constat, les acteurs ont pris conscience de la nécessité d’améliorer la gestion des risques et d’atténuer l’impact des fluctuations de prix. Différents outils existent, et notamment le développement de la proposition de prix anticipés pour les éleveurs laitiers ». Un système qui promet de continuer à se développer fortement outre-Rhin et que la France aurait grand intérêt à suivre, selon l’expert. 

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Dans le jargon du métier, on parle de « Back to Back » : un contrat physique entre le collecteur et l‘éleveur. Le principe est simple : la laiterie se met d’accord sur un prix et une date de livraison avec un client final à l’avance. En partant du prix que le client versera pour une certaine quantité de fromage livrée dans six mois par exemple, la laiterie est en mesure de définir, par un calcul rétrograde, un prix du lait payé à l’éleveur.

Fonctionnement du système Back to Back (©INTL FCStone)

Selon le produit fabriqué, une valorisation différente

Néanmoins, le prix dépendra du type de produit qui sera fabriqué et de la plus ou moins bonne valorisation du lait. Entre un yaourt et un camembert, le prix de revente par litre de lait utilisé sera différent et cela, même si le fabricant se fournit auprès du même producteur. La valorisation dépendra toujours également des négociations avec la grande distribution.

La laiterie peut ensuite proposer des couples prix/période de livraison à ses laitiers, qui sont alors libres de se positionner, si le prix leur convient. « Chaque producteur de lait peut participer volontairement au modèle de prix fixe en fonction de son cadre de risque ». L’avantage incontestable est la visibilité pour les deux parties, qui disposent de prix fixes.

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Toutefois, en l’absence d‘accord entre les deux parties, le modèle est très contraignant dans sa mise en œuvre. Alors pour se couvrir face aux fluctuations de prix et pouvoir tout de même proposer un prix fixe, la laiterie peut également servir d’intermédiaire pour donner accès au marché à terme à ses laitiers. D’autant plus que les ingrédients industriels, poudres et beurre en tête, représentent souvent près de 40 % du lait transformé et sont souvent destinés à l’export, et donc fortement soumis aux variations des cours mondiaux.

Contrairement aux opérations « Back to Back », le marché à terme donne une visibilité en toute transparence. En effet, chacun peut suivre les cours des matières premières laitières par un simple clic sur son ordinateur.

Sodiaal se lance en 2020

« Diverses laiteries en Allemagne proposent déjà à leurs producteurs des prix fixes pour une partie de leur lait à des dates de livraison futures », comme Nordsee, Hochwald, Ammerland, DMK ou encore Hohenlohe. Mais en France, seul Sodiaal s’y aventure pour le moment. Le collecteur lancera prochainement une plateforme sur laquelle les agriculteurs pourront fixer leur prix de façon autonome. 

Limité au volume B chez Sodiaal, outre-Rhin, il n’y a pas de distinction historique en lait A et B. Aussi, « leur référence est le prix du lait sur EEX, la valorisation beurre-poudre à laquelle s’ajoute une prime en fonction du mix-produit de la laiterie ou de l’indice ministériel BLE (équivalent du prix FranceAgriMer en 34/40) ».

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Cette approche, expérimentale depuis deux ans, trouve dans le document « Stratégie 2030 » et les initiatives actuellement en cours un écho très favorable vers un développement général.

S’agissant d’« un des éléments clé pour gérer le risque de prix des éleveurs laitiers », Stefan Nether est confiant qu’en France également, les prix fixés par avance se développeront à l’avenir.

« Souvent, les laitiers me posent la question : mais qui achète mon lait sur le marché à terme ? », remarque Stefan Nether. La contrepartie de tout marché, physique ou sur les futures, est un agent économique qui accepte d’acheter ce lait en l’occurrence au prix proposé. Chacun y trouve son intérêt.

La différence entre le marché physique et le marché à terme est que dans le premier cas, la contrepartie est connue, alors qu’elle est anonyme dans le second, explique Stefan Nether. « D’où les dépôts de garantie et appels de marges, pour sécuriser le système et donc la transaction. Les céréaliers parmi les laitiers connaissent cela depuis longtemps ».

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