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[Reportage] Élections européennes

Dans le Morbihan, un éleveur de porc « pro-européen » mais inquiet pour l’avenir


AFP le 06/05/2019 à 16:35

À 50 ans, François Valy, éleveur de porc à Ruffiac (Morbihan), dit « deux fois oui à l'Europe », même s'il estime que l'élevage français ne joue « pas dans la même cour » que ses concurrents européens, ce qui pourrait, à terme, lui porter préjudice.

Installé au cœur de la campagne morbihannaise, où il a repris en 1992 la ferme parentale de 140 truies, transformée depuis en élevage de post-sevrage/engraissement, le Breton fait enfiler des combinaisons de protection pour la visite des porcelets, tout juste sevrés et élevés sur caillebotis, dans une atmosphère à 26 degrés.

Son élevage, conventionnel, produit 3 600 porcs à l’année. À l’entrée du bâtiment, quelques tronçons de mousse serviront pour l’isolation. Des travaux nécessaires sur des bâtiments jugés « vieillissants », selon François Valy, qui préfère s’atteler lui-même à la tâche.

Pour cet éleveur de Bretagne, région qui concentre 58 % de la production porcine, la longue atonie des prix couplée à la hausse du prix des aliments a été vécue, avant la récente embellie, comme un chemin de croix. « Il y a des nuits où on ne dort pas. Certains mois, je vis sur les revenus de ma femme, qui travaille dans une société d’ambulances », confie l’éleveur, également responsable syndical à la FRSEA Bretagne.

S’il ne remet pas en cause la construction européenne, François Valy dénonce vivement le grand écart des prix, des salaires, notamment dans l’abattage, et des normes environnementales, visant notamment l’Allemagne et l’Espagne, les deux premiers producteurs européens de porcs et principaux concurrents de la France. Depuis que le prix au kilo a entamé début mars une remontée fulgurante, tiré par une Chine aux prises avec la peste porcine africaine, l’éleveur admet qu’il « respire beaucoup mieux ». Pourtant, il faudra encore selon lui « quelques mois avant de voir un effet positif sur la trésorerie ».

Davantage d’harmonisation

Très au fait des yoyos du marché, avec une Chine qui « donne le « la » », François Valy trouve la concurrence intra-européenne particulièrement dommageable, signe selon lui « d’un déclin de la filière française, qui a été sacrifiée ». « Il y a 25 ans, nous étions exportateurs nets vers l’Allemagne et l’Espagne. Aujourd’hui, c’est le contraire. Nous sommes passés du développement à la récession », regrette-t-il en donnant à manger du granulé à ses bêtes. En cause notamment, le développement à marche forcée de la production espagnole, dont « 70 % des élevages sont adossés à des groupes intégrés, ce qui les rend plus résistants aux fluctuations des prix ». « On ne joue pas dans la même cour », commente l’éleveur. « En France, l’élevage moyen compte 230 truies contre 2 000 à 3 000 en Espagne ».

La discussion se poursuit dans la cuisine de la maison familiale, située à une encablure des bâtiments d’élevage. Cette fois ce sont les disparités fiscales et sociales que critique François Valy, et plus encore, les fraudes. « La Commission européenne a ouvert l’an dernier une procédure d’infraction contre l’Allemagne pour fraude à la TVA », rappelle-t-il en plaidant pour « plus d’harmonisation » à l’occasion des élections européennes.

« C’est aussi vrai pour l’aspect administratif : il faut deux à trois ans pour avoir un outil de méthanisation en France, contre six mois en Allemagne », déplore-t-il.

De plus, alors que l’élevage français souffre selon lui « d’un important retard d’investissement qui pèse sur les rendements », le prix payé au producteur y est systématiquement « moins rémunérateur de 5 à 10 centimes » que chez les voisins européens. « Il ne faut pas tout mettre sur le dos de l’Europe, mais la concurrence montre qu’il faut qu’on s’organise pour créer un meilleur rapport de force avec l’industrie et la distribution afin de retrouver du prix », plaide le syndicaliste. « Aujourd’hui, le consommateur veut du « sans tout », « sans antibiotiques », « sans glyphosate », « sans OGM » », constate l’éleveur qui regrette aussi la « faible acceptabilité sociale de l’élevage en France où les projets d’agrandissement sont presque systématiquement bloqués par des associations ». Alors que les départs à la retraite vont s’accélérer dans les années à venir, François Valy juge qu’aujourd’hui « rien n’est fait pour inciter les jeunes à s’installer ».