Chez Mickaël Lepage : 300 jours de pâturage dont 120 jours en plat unique


TNC le 16/05/2025 à 04:56
MickaElLepage

A son installation au début des années 2000, Mickaël a développé la culture de l'herbe sur la ferme, et mis en place des vêlages groupés de printemps. (© TNC)

Installé sur une ferme laitière érigée il y a plus de 150 ans, Mickaël Lepage a une approche très concrète de la durabilité. Son objectif : produire du lait tout en limitant son impact environnemental et en amplifiant les interactions sociales. Pour cela, il mise sur l’herbe. Avec pas moins de 300 jours de pâturage dont 120 en pâturage plat unique, l’éleveur parvient à faire rimer durabilité et rentabilité.

Pour Mickaël Lepage, être agriculteur, c’est être agronome et zootechnicien avant d’être économiste. « On ne peut évaluer la rentabilité d’un système qu’après avoir intégré les lois physiques qui le régissent », martèle l’agriculteur. Cette vision, à mi-chemin entre la science et la philosophie, l’a conduit à repenser le système de production qu’il a hérité de ses parents au début des années 2000. « Carbone, azote, énergie… Si l’on veut travailler de manière durable, il faut considérer l’ensemble des cycles biologiques et des flux dans lesquels s’inscrivent nos fermes ».

Le premier déclic a été la remise en cause du système maïs-soja. « Aujourd’hui, on en oublierait presque qu’on ne fait pas de lait avec du maïs. On fait du lait avec un hectare de maïs chez soi… et un hectare de soja au Brésil », souligne l’agriculteur. Une fois ce constat intégré, « on se rend compte que le potentiel laitier d’un hectare d’herbe est loin d’être ridicule ».

C’est ainsi que l’herbe a remplacé le maïs sur la ferme du Chênot, en périphérie de Laval il y a un peu plus de 20 ans. Depuis, les vaches de Mickaël pâturent 300 jours par an, dont 120 jours de pâturage plat unique. « Il y a même une année où nous avons frôlé les 315 jours dehors », se remémore l’éleveur.

Pour tirer profit de l’herbe, il a misé sur les vêlages groupés de printemps. Une manière de coller la courbe de lactation des vaches sur la courbe de pousse de l’herbe. « C’est ce qui me permet de produire 60 % de mon lait uniquement avec le pâturage ». La salle de traite reste ouverte toute l’année. « Nous vendons du lait cru en direct, alors nous étalons les vêlages sur quatre mois pour toujours avoir un peu de lait l’hiver ».

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300 jours de pâturage par an

Chez Mickaël, l’herbe est une culture à part entière. Les premières vêlées sortent dès le 1er février. « Pas besoin d’avoir 12 cm pour pâturer », insiste l’éleveur. Si la portance le permet et qu’il y a 7 à 8 cm d’herbe sur pied, les vaches sortent. Peu de temps certes, compter environ 3 h par jour en début de saison, mais elles sortent. Au fur à mesure que la pousse de l’herbe s’intensifie, l’amplitude de pâturage augmente, jusqu’au pâturage plat unique pendant un tiers de l’année. Avec 75 ares disponibles par vache pour le pâturage, découpés en paddock de 1,5 ha, l’éleveur gère ses animaux en fil avant fil arrière, et offre un nouveau repas d’herbe toutes les 12 h. « Avoir de l’herbe fraîche, c’est ce qui les motive à aller pâturer après la traite plutôt que de rester au bâtiment ».

Au pic de la pousse, l’agriculteur arrive à descendre à 40 ares par vache. Après une phase de déprimage, il vise un temps de retour de 6 à 7 semaines avec un objectif de 10 cm de hauteur d’herbe entrée herbomètre, soit environ 1 500 kg MS/ha. L’objectif : effectuer le plus de cycles possible. « Je me réfère aux travaux de Rémi Delagarde et Luc Delaby de l’Inrae et je suis la pousse sur plusieurs paddocks témoins de manière hebdomadaire. Je m’enrichis également des échanges au sein du réseau Civam : c’est une manière d’affiner en permanence l’équation besoins du troupeau et fournitures en pâturage » détaille Mickaël. 

L’éleveur apprécie également l’impact du pâturage sur la biodiversité. « Nous avons replanté des haies, des arbres… » Au fil des ans, une véritable diversité faunistique et floristique s’installe dans les prairies. « Ça donne une autre dimension à notre métier ».

Pour l’affouragement hivernal, il mise sur du foin séché en grange. Compter 2,5 tMS par UGB, auquel s’ajoutent 77 kg de concentré fermier à base de blé et de triticale. Un système qui lui permet d’entretenir des Normandes à 4 700 kg de lait par an, pour un coût alimentaire compris entre 25 et 30 €/1 000 l. 

S’adapter au changement climatique sans alimenter la cause

Le coût alimentaire témoigne de faibles charges de mécanisation. « Sur la structure, on fait 400 h de tracteur par an, pour environ 3 000 l de GNR », précise l’agriculteur. « On présente souvent la mécanisation comme une solution pour parer les conséquences du changement climatique. Mais il faut avoir en tête que lorsqu’on augmente ses stocks de fourrage, on utilise encore plus d’énergies fossiles pour pallier les effets du changement climatique », constate Mickaël. « Soit on considère que le progrès nous sauvera, soit on se dit que c’est un cercle vicieux et l’on vise la sobriété ».

Car pour l’éleveur, les effets du changement climatique se font déjà bel et bien sentir. « En 2022, j’ai diminué d’un tiers ma rémunération, car on a baissé d’un tiers en production laitière », tranche Mickaël. La succession de trois épisodes caniculaires dès le mois de juin a eu raison de la pousse de l’herbe estivale. « La question de savoir comment maintenir la production dans un tel contexte se pose. Sans eau, pas de photosynthèse, pas de glucose dans la plante… Bref, pas de lait. Tout est physique », constate l’éleveur. « Ce réchauffement nous met face à des questionnements existentiels. La voie de l’agro-sylvo-pastoralisme est pour moi la plus appropriée pour donner du sens et de prendre soin du vivant ».

On arrive à générer un peu plus de 2 000 € par actif

Si la réduction des intrants limite l’impact environnemental de la structure, il permet également de comprimer les charges. « L’autonomie, c’est ce qui permet de bien vivre à 2 sur une ferme qui fait 200 000 litres de lait », résume Mickaël. Son système qui lui permet de générer un revenu autour de 189 €/1 000 l. « On est sur un fonctionnement qui nous permet d’avoir du temps libre, de financer des études supérieures à nos enfants, avec un niveau de rémunération par actif autour de 2 000 — 2 500 € et un taux d’endettement autour de 20 % », résume l’agriculteur.

L’agriculteur insiste également sur le volet social de sa production. « Le but, c’était d’avoir une approche holistique de la ferme ». C’est donc naturellement qu’à son installation, Mickaël a cherché à se rapprocher du consommateur. « Je trouve que c’est important d’essayer de reconnecter la production au territoire ». Via la commercialisation de lait cru en bouteille, 30 % du lait de l’agriculteur est commercialisé dans un rayon de 20 km autour de la ferme. Le restant est commercialisé en filière longue chez Lactalis, sous label AB. Ces différents circuits de commercialisation permettent à l’éleveur d’atteindre un prix de vente autour de 600 €/1 000 l. 

« Je trouve que c’est important d’entretenir des liens avec le consommateur et de communiquer sur ce qu’on fait », poursuit l’éleveur. « On perçoit des aides de la Pac, on fait partie de leur environnement proche, je trouve ça intéressant d’avoir des échanges sur nos manières de travailler ». Car pour Mickaël, produire n’est pas tout, il faut savoir justifier de son système, et surtout réduire les charges pour le rendre plus robuste.