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L'élevage d'autruches en France

« On est les derniers des mohicans »


AFP le 04/04/2019 à 15:15

De drôles d'oiseaux au long cou en pleine campagne à deux heures de Paris : chez Sylvette et Emmanuel Robert, on élève des autruches depuis plus de trente ans. « C'est le cochon africain, tout peut-être utilisé ! » Avec une cinquantaine d'exploitations dans l'Hexagone contre près du triple à la fin des années 1990, la filière est aujourd'hui en reconstruction et les « survivants » s'interrogent.

« On est les derniers des mohicans », poursuit Emmanuel Robert, entouré de ses oiseaux de 2,50 mètres qui « peuvent (le) reconnaître au milieu d’un groupe ». « On a été les premiers à se lancer en France, en 1987. Au départ, on devait aller au musée, traduire de l’anglais les documents sur l’autruche, c’était une aventure », se souvient-il. Malgré les difficultés actuelles, « on aimerait montrer qu’il existe une logique économique » dans cette activité, explique-t-il. Sur les près de 5 000 tonnes de viande d’autruche consommées en Europe chaque année, seules 40 sont produites en France. Mais outre la viande, pauvre en graisse et chargée d’omégas 3 et 6, il existe beaucoup d’autres débouchés possibles.

La graisse est ainsi utilisée pour les cosmétiques (savons, crèmes) et le cuir pour la maroquinerie. Les plumes et les œufs sont également demandés. Un large panel de possibilités exploitées par Sylvette Robert, qui vend une large gamme de produits à base d’autruche dans leur ferme à Montmachoux, en Seine-et-Marne. « Pour réussir dans l’autruche, il faut tout utiliser », déclare-t-elle en montrant savons, rillettes, plumeaux et même des sacs à main dans son magasin. « Ça coûte, la peau d’une autruche, mais ça reste abordable comparé aux prix du marché » : compter ainsi entre 300 euros et 800 euros pour un sac à main en cuir quand on peut les trouver jusqu’à 30 000 euros dans des boutiques de luxe. Pour les plumes, « on travaille beaucoup avec les cabarets », ajoute celle qui a « été formée par une plumassière en Afrique du Sud ». Quant à l’œuf d’autruche, pouvant également servir à la décoration, il équivaut à 20 œufs de poule, pour un poids de 1,3 kilo ! « Ça paraît énorme mais vu sa taille, l’autruche devrait faire des œufs quatre fois plus gros », sourit l’éleveuse.

« On n’existe pas »

Si l’abattage et la vente de viande d’autruche et de ses produits dérivés sont autorisés par une note de service du ministère de l’agriculture datant d’avril 1993, l’élevage de cet animal souffre aujourd’hui du manque de soutien de la part de l’État, estiment les éleveurs. « Il n’existe aucun cadre administratif », regrette ainsi Emmanuel Robert, par ailleurs vice-président de l’association professionnelle des éleveurs d’autruches. Pour le sexagénaire, ce sont notamment les « difficultés administratives » qui ont poussé bon nombre de ses collègues à abandonner, la faute notamment au statut particulier de ce volatile. Contrairement à d’autres pays européens, « le statut d’éleveurs d’autruche n’est pas reconnu, on n’existe pas. On aimerait qu’une filière spécifique soit créée pour que l’autruche obtienne le statut d’animal de rente », déclare-t-il.

En France, la détention d’animaux d’espèces non domestiques est soumise à une autorisation particulière. Élever ces volatiles nécessite d’obtenir un certificat de capacité et d’effectuer un stage pouvant durer trois ans, « non financé et non habilité par l’État », selon les éleveurs. Cette reconnaissance du statut « d’animal domestique » lèverait plusieurs barrières administratives contraignantes pesant sur la filière.

L’une des premières conséquences tient à l’abattage de ces oiseaux. « Il n’existe pas d’outils d’abattage adéquats. Avec le bison et le cheval, l’autruche fait partie des trois espèces orphelines au niveau de l’abattage en France », explique Frédéric Freund, président de l’œuvre d’assistance aux animaux d’abattage (OABA). Seuls 16 abattoirs sont aujourd’hui agréés pour abattre des autruches, selon une information de la direction générale de l’alimentation, dépendant du ministère de l’agriculture. 25 ans après l’apparition des premiers éleveurs d’autruches en France, les pionniers estiment que leur filière a de l’avenir : « Il faut se demander quelles seront les consommations du futur. Si le réchauffement climatique continue, il y aura plus d’autruches que de bovins dans 100 ans ».