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[Témoignage] G. Malgouyres, éleveur (12)

« Même si j’en suis proche, je ne passerai pas en bio car j’y perdrais trop »


TNC le 11/09/2020 à 09:27
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« Même si je suis très près du bio niveau conduite de l'exploitation, je resterai en conventionnel car la plus-value n'y est pas, je serais même perdant. » Gauthier Malgouyres, polyculteur-éleveur de l'Aveyron explique pourquoi, dans son système, il ne franchira pas le cap de la conversion à l'agriculture biologique.

C’est en 2004 que Gauthier Malgouyres s’est installé à la suite de son père sur l’exploitation familiale comprenant 70 vaches allaitantes et quelques truies sur la région naturelle du Segala dans l’Aveyron (12). Il qualifie sa ferme d’assez extensive, tout en foin avec en plus 18 ha de céréales en rotation et conduite allégée (80 à 100 unités d’azote + un désherbage).

Sur Twitter, l’éleveur prend la parole et explique via un thread [compil de tweets successifs sur un même sujet, NDLR] pourquoi (bien qu’il y ait largement songé), il ne convertira pas son exploitation à l’agriculture biologique. « Beaucoup de mes voisins pensaient que j’allais passer en bio et je pensais aussi que c’était la voie à suivre. Je me suis intéressé aux débouchés et là, ça a été un peu la douche froide… »

La hausse des charges réduit considérablement la plus-value sur les bovins

« La plus-value pour les vaches de réforme est autour de 20 % à finition équivalente. Mais les concentrés (et particulièrement la protéine) étant très chers en bio, la plus-value passe en fait surtout chez le fournisseur d’aliments. Pour les veaux aussi, c’est compliqué : on les engraisse avec nos céréales et la chute du rendement est autour de 40 %. » Il fallait donc revoir l’assolement.

Retrouvez un autre témoignage sur le sujet :
Antoine Thibault, éleveur laitier (27) : « Après réflexion, je ne passerai pas en AB, c’est trop risqué ! »

Face à une impasse pour la rotation des cultures

Pour pallier la baisse de rendement et continuer à autoconsommer la même quantité de céréales, les simulations auraient amené Gauthier à devoir augmenter la sole de céréales à 25 ha contre 18. « Je me retrouve alors obligé de baisser mon cheptel car il est nourri de manière autonome sur les prairies. »

Autre problème : la rotation. « Je ne pouvais pas faire succéder plusieurs pailles à cause du salissement et du faible reliquat d’azote. La rotation devenant trop courte, il m’aurait fallu réintégrer des prairies permanentes très productives ou très pentues. Après tout, pourquoi pas si le jeu en vaut la chandelle, me direz-vous. Je me mets donc en quête de débouchés pour mes jeunes bovins. Et là, c’est la douche froide : on m’en propose moins que ce que je les vends au marché (- 0,4 €/kg de carcasse). Du coup, la solution tombe sous le sens : abandonner la plus-value liée à l’engraissement des veaux, vendre en broutards, faire moins de céréales et vendre quelques réformes bio. »

Témoignage d’un autre éleveur bio : G. Hamel (14) : « S’agrandir, produire plus et se retrouver face à un mur »

Quid de la part du bio dans l’assiette des consommateurs ?

Gauthier a pourtant des doutes quant à ce raisonnement : « Si ce système parait vertueux, il revient à déléguer à d’autres la « pollution », acheter de la paille dans des zones où il manque déjà de la matière organique, et me rendre dépendant des fluctuations des prix des broutards. Il y a aussi un plaisir à faire un produit fini… »

Pour s’en convaincre, l’éleveur réalise deux simulations de conversion. « À chaque fois, je perdais autour d’un Smic. Statu quo pour la conversion donc. » Il poursuit : « Je me suis quand même questionné sur le décalage entre l’omniprésence du bio dans les discours et la faiblesse de la plus-value, surtout dans ma production. »

Et les chiffres lui donnent raison : « Déjà, il est à noter que le bio représente 5 % des achats alimentaires en valeur en 2019, importations incluses (chiffres de l’agence bio). Du coup, ça donne 3,8 ou 4 % de bio français dans l’assiette du Français moyen. Ça augmente mais ça reste très faible à ce jour. De plus, la part du bio en 2040, on s’en tape un peu car mon salaire résulte de mes ventes 2020 et non 2040. »

Même crainte en production laitière. Retrouvez à ce sujet : De l’ambition mais une visibilité limitée, faut-il franchir le cap de la bio ?

« J’ai aussi appris, via les revues professionnelles, que 40 % des bovins bio en nombre sont vendus en conventionnel. C’est à relier à la consommation de viande bovine bio, qui est autour de 2,5 %, soit la moitié de la consommation de bio en général. Aussi, certains labels rouges type Blason prestige, BFA ou Veau d’Aveyron offrent des prix identiques au bio avec des garanties sur le mode de production et sur la qualité de finition. »

Face à ces conclusions, Gauthier a tout de même fait évoluer son système : « On a optimisé la ferme pour produire pareil ou plus avec les mêmes intrants (alimentation des jeunes veaux, prévention des diarrhées, croisement, optimisation et facilités de naissance, recherches de taureaux plus précoces…). Pour les sols, on est en bas volume sur le désherbage, on généralise le semis de prairies sous couvert de céréales, on favorise les prairies à longue durée, on est en cours d’apprentissage du semis direct… Est-on en agro-écologie pour autant ? Si c’est faire mieux sans engendrer de nouvelles émissions, je dirais oui. Si c’est dépenser moins en produisant moins (voire en ne produisant plus), je ne m’inscris pas dans ce schéma. »

Il conclut alors : « Je n’ai rien contre le fait de produire en bio, mais il me semblerait légitime que produire quelque chose de perçu comme plus qualitatif engendre une plus-value qui couvre un peu plus que la baisse de production. Dans mon système, pour mon exploitation en tout cas, la conversion n’est pas envisageable. »