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Dossier : Taxes américaines

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Témoignages

Deux agriculteurs, deux stratégies pour la moisson


TNC le 25/07/2019 à 10:Jul
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Faire sa moisson tout seul, déléguer la récolte, pratiquer l'entraide... À chacun sa stratégie durant cette période de rush. Deux agriculteurs picards aux profils bien différents témoignent : Simon Traullé, éleveur qui fait faire sa moisson par un voisin pour se concentrer sur le pressage de la paille, et Thierry Fertel, polyculteur équipé pour moissonner près de 300 ha mais qui pour la première année exportera toute sa paille au profit d'éleveurs du secteur.

À 40 km d’écart dans la Somme, deux exploitants agricoles témoignent pendant la moisson. Chez Thierry Fertel, céréalier à Lincheux, après l’avoir broyé pendant longtemps, il exportera toute sa paille au profit des éleveurs de son secteur cette année. Au Nord du département, à Coulonvillers, Simon Traullé attaque sa première moisson. Le jeune installé rejoint l’exploitation familiale qui confie depuis toujours les récoltes à un voisin équipé de sa propre moissonneuse. Deux exploitations bien différentes avec deux stratégies réfléchies.

Besoin de matière organique chez les agriculteurs céréaliers

Thierry Fertel ne broie plus aucun brin de paille. Une fois ses 140 ha moissonnés, des éleveurs viennent presser la paille et l’échangent contre du fumier. (©TNC)

Thierry Fertel cultive 200 ha (140 ha de blé et orge, 30 ha de colza, 20 ha de betteraves et 10 ha de lin) et fait également 150 ha de prestation à côté (le tout en céréales). Il est équipé d’une Claas Lexion 740. S’il broyait une grande partie de sa paille les années précédentes, la donne a changé cette année : « tout sera pressé et vendu ou échangé contre du fumier », témoigne-t-il.

Lisier, compost, fientes, fumier : lorsqu’on n’est pas éleveur, il faut trouver de la matière organique à apporter dans ses champs !

L’apport de matière organique est un dilemme pour les céréaliers : « Auparavant j’élevais des porcs donc j’avais du lisier à épandre mais j’ai arrêté en 2003 et il a fallu trouver d’autres alternatives. Je me suis rapprochée de la déchèterie de mon secteur pour récupérer du compost de déchets verts. On avait constitué un groupement d’achat avec d’autres agriculteurs et nous étions parvenu à l’obtenir à 3 €/tonne. En revanche, les prix ont vite grimpé et on a tout arrêté en 2009. » L’agriculteur s’est ensuite tourné vers de la fiente de poule séchée proposée par sa coopérative : « J’en ai pris de 2012 à 2015 mais ça me coutait tout de même 56 €/t épandu. J’y ai mis un terme lorsqu’un éleveur bovin du secteur m’a proposé de mettre en place des échanges paille/fumier. Ainsi, je lui laissais 20 à 30 % de ma paille qu’il venait presser en échange de fumier que je complétais avec du compost car, heureusement, les prix sont redevenus corrects. »

Les éleveurs ont besoin de paille, je préfère l’échanger plutôt que la broyer.

Mais cette année, Thierry n’aura plus besoin d’acheter quoi que ce soit à l’extérieur : « J’ai laissé de la paille aux deux éleveurs qui m’en ont demandé : l’éleveur bovin m’échange toujours 40 ha de paille contre du fumier et j’ai démarré cette année un échange avec un éleveur de volailles. Il me prend 30 ha de paille contre de la fiente. Les 70 ha restants sont vendus en andain à un marchand (à 20 €/t). »

Beaucoup d’éleveurs manqueront de fourrages cette année au vu de la sécheresse. Thierry Fertel en est conscient : « Si j’avais eu plus de demandes, je leur aurais bien-sûr laissé toute ma paille plutôt que de la vendre à un négociant. Autant aider les collègues du secteur en priorité ! » Il est même en pour-parler avec son voisin pour cultiver de la luzerne : « Cela me permettrait de diversifier mes cultures. Aujourd’hui, il est important de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier pour limiter les risques face aux marchés volatils. » D’ailleurs, il explique ne plus vouloir faire de colza l’an prochain : « Il y a eu du changement au niveau des produits phytosanitaires autorisés et mes terres ne sont pas des plus adaptées à la culture. Je réfléchis à le remplacer par du lin, des pois, de l’avoine et pourquoi pas de la luzerne si le partenariat se met en place, ou même des lentilles. On verra… »

L’agriculteur reconnaît : « Bien sûr, échanger de la paille contre du fumier représente plus de boulot pour moi. Je ne suis pas équipé pour l’épandre alors je loue un épandeur. En revanche, concernant les fientes, j’en épand beaucoup moins que du fumier (5 t/ha contre 25 ou 30 t/ha pour du fumier de bovin), c’est plus rapide. Cela me permet aussi de ne plus acheter aucun engrais organique. Je ne prends plus que des vinasses de sucrerie que j’épands à 3 t/ha sur colza et betteraves. » Pour ce qui est du broyage de la paille, pas de regret pour Thierry : « Je préfère l’exporter et amener du fumier et des fientes. En plus, avec tous les départs de feu qu’on voit cette année, je suis content de ne plus broyer. De plus, je consomme bien moins de carburant comme ça. »

Une forte demande en paille du côté des éleveurs

Simon Traullé, éleveur à Coulonvillers (Somme), prépare sa presse en vu des 1300 ballots de paille qui l’attendent. (©TNC)

Plus au nord du département, à Coulonvillers, Simon Traullé s’apprête à réaliser sa première moisson en tant qu’agriculteur. Ça y est, le jeune éleveur vient de rejoindre son père sur l’exploitation de polyculture-élevage bovin lait. Là-bas, la moisson c’est du rapide : « Sur les 150 ha, on a 60 ha de blé à battre et c’est un voisin qui nous le fait. Nous, on ne s’occupe que des remorques. Il est équipé d’une John Deere T660. » Depuis toujours, la récolte est déléguée pour l’Earl. « Aujourd’hui on est deux mais mon père était tout seul auparavant. Il aurait manqué de la main d’œuvre pour tout faire et cela nous évite d’avoir à investir dans une moissonneuse. Là, la prestation nous coûte 120 €/ha. De plus, le voisin est bien équipé donc ça va vite. Si on achetait une machine, on en prendrait une bien plus petite et on passerait du coup plus de temps. »

Et le temps est précieux pour ces éleveurs… « À défaut de moissonner, on se concentre sur la paille. On en presse près de 130 ha ! » En effet, en aire paillée, les besoins sont importants : environ 1 300 ballots/an pour les 90 vaches laitières et leur suite. « On presse toute notre paille et on fait des échanges paille/fumier avec deux agriculteurs du coin. Cela représente 50 ha supplémentaires contre 6 à 700 t de fumier (environ 40 % de notre fumier total). On achète aussi 20 ha de paille en andain à un autre voisin. »

Pour ce faire, la presse a été changée l’an dernier : « On avait une John Deere 590 qui était en bout de course. On l’a changé pour une Claas Quadrant 3400. Elle fait des ballots carrés, c’est mieux car on n’a pas beaucoup de place pour le stockage et elle dispose aussi du rotocut, utile pour la luzerne. Le débit est d’ailleurs bien supérieur : on est passé de 2 ha/h à 6 voire 7 ha/h pour la paille avec des ballots de 500 kg contre 250 en rond. » Père et fils se sont même tournés vers la prestation et pressent 100 ha de plus pour d’autres éleveurs du secteur. Pas de quoi s’ennuyer !

De la main d’œuvre pour la moisson

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