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Dossier : Réforme de la PAC

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[Covid-19] « Paroles d'éleveurs » (2/3)

« Toujours des vaches à traire et à nourrir » mais un peu différemment...


TNC le 06/05/2020 à 06:May
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Pour la députée européenne Irène Tolleret, qui siège à la "Comagri", la réforme de la Pac sera pas applicable avant 2023 (©Pixabay)

Comment les producteurs de lait vivent-ils et travaillent-ils au quotidien sur leur exploitation avec la pandémie de coronavirus ? Quelles difficultés rencontrent-ils ? Ont-ils adapté leurs pratiques ? Pour le savoir, l'Idele donne "La parole aux éleveurs" via des enquêtes téléphoniques régionales réalisées notamment par Inosys-Réseaux d'élevage et les chambres d'agriculture. Voici les résultats dans le Grand Est et en Bretagne, après ceux diffusés la semaine dernière pour les bovins viande dans le Limousin.

Au-delà de ses conséquences sur l’agriculture et en particulier l’élevage, quel est l’impact de la pandémie de covid-19 sur le quotidien des éleveurs de bovins lait et viande, notamment sur leur travail et leurs pratiques ? Quels sont leurs ressentis plus psychologiques qu’économiques face à cette crise ?

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Pour répondre à ces questions, l’Idele donne « La parole aux agriculteurs » sur son site internet, en relayant les résultats d’enquêtes de terrain réalisées par le dispositif de fermes de référence Inosys-Réseaux d’élevage et d’autres organismes agricoles tels que les chambres d’agriculture. Une centaine de producteurs ont ainsi été contactés courant avril par téléphone (sous forme d’entretiens libres autour de plusieurs thématiques ou de questions ouvertes) dans différentes régions françaises, plus ou moins touchées par le virus. 

« Le  fonctionnement global des élevages n’est pas perturbé »

En production laitière, dans le Grand Est, fortement éprouvé, Jean-Marc Zsitko, conseiller d’entreprise à la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle, a recueilli les témoignages d’une vingtaine de producteurs du dispositif Inosys-Réseaux d’élevage bovin lait. Sur le travail proprement dit, ces derniers constatent peu de changements. Les tâches à effectuer restent les mêmes et il n’y a pas particulièrement de surcroît d’activité. « Nous avons toujours nos vaches à traire et nos animaux à nourrir, font-ils remarquer. Et au niveau de la charge de travail, rien n’a vraiment changé. »

« Le  fonctionnement global des exploitations n’a pas été perturbé » non plus en Bretagne, rapportent les conseillers herbivores de la chambre d’agriculture régionale après avoir appelé 65 éleveurs (54 de bovins lait, 8 de bovins viande et 3 mixtes). « 50 % d’entre eux vivent bien » la situation, au quotidien dans leur travail, « près de 40 % plutôt bien et 10 % mal. »

Moins de passages dans les élevages…

C’est logiquement moins l’intérieur de l’élevage lui-même mais plus ses contacts avec l’extérieur qui sont impactés. Alors qu’il y a généralement beaucoup de passages dans les exploitations agricoles (parfois trop selon certains éleveurs), « seuls le laitier et l’inséminateur viennent encore régulièrement », font remarquer les enquêtés du Grand Est. Le contrôle laitier, le suivi prophylactique et de reproduction ont en effet été suspendus un temps dans les trois régions. À la place, certains producteurs ont échangé avec les techniciens par téléphone, mail, voire visio.

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Mais, de manière générale, ils estiment que ces relations dématérialisées avec leurs partenaires, majoritairement en télétravail, « sont plus délicates, prennent davantage de temps et alourdissent la gestion administrative ». Et ils craignent qu’une grande partie des dossiers en cours soient « différés, comme les déclarations Pac ou d’impôts ». Ils jugent également recevoir trop d’informations sur le covid-19, de manière non concertée, de la part de toutes les organisations agricoles. « Difficile de tout lire », insistent-ils.

Quelques difficultés d’approvisionnement…

Par endroit, les éleveurs interrogés pointent des « difficultés pour trouver des pièces ou des mécaniciens et faire réparer leurs machines » ou pour s’approvisionner en matériaux de construction. « Il faut être encore plus attentif au matériel pour éviter la casse », conseillent les producteurs bretons. D’autres disent  « avoir pris un peu de retard » dans la mise à l’herbe de leurs animaux parce qu’ils n’ont « pas trouvé de fil de fer barbelé pour réparer leurs clôtures ». Cet isolement des éleveurs sur leur ferme est « ce qui paraît le plus difficile à supporter », selon Jean-Marc Zsitko. Un peu comme s’ils étaient confinés même dans un espace plutôt vaste ! « Heureusement, les téléphones portables et éventuellement les réseaux sociaux permettent de garder des liens avec les autres agriculteurs », ajoute-t-il.

… et de main-d’Œuvre

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Si le coronavirus ne modifie pas le travail des producteurs laitiers en tant que tel, il a des conséquences sur son organisation. D’ailleurs, dans l’enquête bretonne, « 40 % des sondés disent avoir des préoccupations liées aux ressources humaines, dont 16 % par rapport à la main-d’œuvre, 13 % aux salariés et 6 % aux arrêts de travail ». Certains doivent en effet faire face à l’absence du ou de leurs employés, obligés de garder leurs enfants en raison de la fermeture des crèches et des écoles, ou parce qu’ils ont été contaminés par le covid-19. Quand ce ne sont pas les éleveurs eux-mêmes qui le contractent. 

La main-d’œuvre familiale est alors souvent bienvenue, notamment les coups de main des enfants qui ne peuvent plus aller en classe (la surveillance des plus petits nécessitant toutefois de s’organiser différemment, ce qui peut s’avérer difficile notamment avec un atelier de transformation et/ou de vente directe). Les grands-parents, eux, sont beaucoup plus rarement sollicités pour ne pas risquer de les infecter.

Un appui de la famille bienvenu

« Dans une exploitation individuelle, un agriculteur malade n’a pas pu se faire remplacer et a dû travailler avec de la fièvre », raconte le conseiller de la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle. Cette difficulté à pouvoir faire appel aux services de remplacement inquiète aussi en Bretagne où les exploitants redoutent de tomber malade en partie pour cette raison. Un autre éleveur breton a été confronté à « un manque de main-d’œuvre » accru sur sa ferme parce que l’apprenti qu’il avait embauché n’a finalement pas pris son poste. « Heureusement certains établissements de formation autorisent à nouveau la poursuite de l’apprentissage avec une autorisation parentale », nuance un de ses collègues.

Attestations de déplacement et gestes barrières

Au niveau réglementaire, les producteurs questionnés remplissent scrupuleusement les attestations de déplacement pour eux-mêmes et leurs employés. Lorsque l’exploitation se situe sur plusieurs sites, certains ont d’ailleurs été souvent contrôlés par les forces de l’ordre. Quant aux gestes barrières, ils les appliquent tous pour « limiter les risques de contamination » au sein de leur élevage car ils « mesurent la gravité » de cette maladie, connaissant des personnes l’ayant attrapée. Dans les départements bretons, le rôle des groupements d’employeurs, qui « ont géré la réglementation et la mise en place des mesures barrières », a été très apprécié. 

Partout, les éleveurs se montrent très rigoureux vis-à-vis des rares intervenants qui pénètrent encore sur l’exploitation. Pour éviter toute entrée imprévue, certains, en Bretagne, « ont même placé des barrières » devant les accès de leur élevage. Avant et après la collecte du lait, ceux qui « ne laissent pas les portes ouvertes », mettent du désinfectant « sur les poignées du local et au niveau du tank ». Un point d’eau et du savon sont généralement mis à disposition pour le lavage des mains et certains demandent également au laitier et à l’inséminateur de laver et désinfecter leurs bottes.

Plus de rigueur avec les salariés qu’entre associés

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Pour certaines tâches et dans les structures sociétaires cependant, « la proximité entre les travailleurs rend plus difficile le respect des gestes barrières », note le technicien de la chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle. « Les volants et les manettes des machines sont rarement désinfectés. » Dans les fermes avec des salariés en revanche, la vigilance est plus forte et les employés sont parfois affectés à des engins. Même chose, en Bretagne, entre les agriculteurs d’une même Cuma. Dans le Grand Est, pour organiser les ensilages d’herbe, des adhérents ont déjà réalisé des visioconférences. « Chacun gardera son tracteur et couvrira si possible son tas, il n’y aura pas de repas en commun, explique l’un d’eux. La cabine de l’ensileuse sera entièrement désinfectée à tout changement de chauffeur. »

En Bretagne, l’obligation de procéder par demi-journée fait craindre une fin plus tardive le soir. La disponibilité des ETA préoccupe aussi. Là encore, les producteurs prennent volontiers des précautions sanitaires mais regrettent leur impact sur la convivialité de ces chantiers. Grâce à leur rigueur cependant, la plupart des éleveurs enquêtés sont pour l’instant passés au travers du covid-19, tout comme leurs salariés. Et tous sont « conscients de leur chance de pouvoir encore travailler par rapport à d’autres professions » qui ont dû arrêter leur activité pendant plus ou moins longtemps. Pour suivre l’évolution de ce baromètre de l’ambiance dans les campagnes suite au covid-19, Inosys-Réseau d’élevages et les chambres d’agriculture prévoient de rappeler régulièrement les éleveurs enquêtés.

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