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Dossier : Récoltes 2022

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Du champ à la chope

Naissance d'une filière pour une bière « responsable »


AFP le 18/06/2022 à 12:Jun

(©Pixabay)

Moins d'eau, d'engrais et de produits phytosanitaires : en 2026, la totalité de l'orge brassée pour élaborer la bière 1664 blonde proviendra de récoltes labellisées « responsables », à l'image des grains dorés que s'apprête à récolter Thierry Michaut, agriculteur français en Bourgogne.

Sur 15 hectares en pente douce, les grandes tiges blondes courbées par le vent seront moissonnées prochainement, ouvrant le bal des récoltes de céréales, et donneront naissance à la première cuvée « responsable » de Kronenbourg, le numéro 1 français des brasseurs (1664, Grimbergen).

Avec ces bouteilles en rayons début 2023, l’industriel veut inciter les agriculteurs à des pratiques plus respectueuses de l’environnement, à défaut d’être bio, tout en conservant sa production à grande échelle.

De 5 000 tonnes d’orge pour sa première cuvée – soit 20 % de la production de la 1664 – Kronenbourg veut monter en puissance pour couvrir 100 % de son approvisionnement en 2026, s’appuyant sur 250 agriculteurs comme Thierry Michaut, installé dans le village de Lasson (Yonne).

Son orge d’hiver et celle des autres paysans de l’Yonne et l’Aube sera labellisée HVE, « Haute valeur environnementale » niveau 2. Moins exigeant que le bio, qui bannit totalement les produits phytosanitaires, et objet de nombreuses critiques des défenseurs de l’agroécologie, son cahier des charges se veut plus « accessible et acceptable » pour les agriculteurs.

Sans avoir d’objectifs chiffrés, ils auront néanmoins des obligations : s’abstenir d’utiliser certains pesticides régulateurs de croissance, ajuster l’apport d’engrais de synthèse, en fonction de l’azote déjà présent dans leur sol, et favoriser la biodiversité avec des prairies ou des plantes mellifères amies des abeilles.

Sur son exploitation, où il fait pousser blé, tournesol et élève une centaine de vaches charolaises, Thierry Michaut n’aura « qu’à utiliser quelques produits phytosanitaires en moins » : « On adapte déjà les doses de fertilisants et on utilise des couverts végétaux » en interculture pour ne pas laisser de sol nu et ainsi stocker du carbone.

Cette exploitation a tout du modèle vanté par Kronenbourg qui verse une prime – au montant secret – pour convaincre les paysans freinés par les coûts et la peur de voir leur rendement baisser… Et notamment les nouveaux installés.

A grande échelle

Depuis plusieurs semaines, la ferme de 300 hectares que Thierry Michaut fait tourner avec sa femme et ses deux fils en Bourgogne a été balayée par une succession d’épisodes de gel, de sécheresse et de grêle qui déboussolent ces agriculteurs et leur calendrier des moissons.

La canicule de cette semaine, conséquence du changement climatique, les a contraints à avancer d’une semaine la récolte de l’orge dont les grains devraient déjà avoir perdu en volume et en qualité à cause des températures excessives, redoute-t-il.

Avec cette accumulation d’aléas qui pèsent sur leur revenu, les investissements pour améliorer leurs pratiques « ne peuvent venir que de la filière industrielle », estime Philippe Collinet, directeur de la communication externe des Brasseries Kronenbourg, filiale du danois Carlsberg.

D’autres s’y sont essayés avant le brasseur, comme Mondelez pour le blé de son petit beurre Lu, mais jamais à cette échelle, estime Christian Huyghe, directeur scientifique Agriculture à l’institut de recherche Inrae.

« C’est un signal fort : plutôt qu’imposer une contrainte à ses producteurs, Kronenbourg les accompagne dans la transition de leurs modes de production », souligne-t-il. « C’est un acteur de référence, et l’effet d’entraînement va permettre de déplacer un équilibre sur tout le secteur ».

« On n’est pas dans de l’expérimentation sur une marque secondaire : dans quatre ans, une bière qui pèse 10 % du marché français (une des trois plus vendues, ndlr) sera entièrement faite d’orge responsable », abonde Philippe Collinet.

Face à l’émergence de micro-brasseries artisanales, bio et locales sur l’ensemble du territoire, cette démarche permet aussi à l’industriel d’Obernai (Bas-Rhin) de verdir son image auprès des consommateurs. « Ils ont des préoccupations environnementales de plus en plus fortes : si on ne suit pas cette tendance, ils vont nous lâcher », constate le porte-parole du brasseur qui a monté le projet avec InVivo, l’une des principales unions de coopératives agricoles en Europe, et les Malteries Soufflet.

Un QR code sur la bouteille permettra également de retracer la provenance de l’orge brassicole, du champ de l’Yonne jusqu’à la chope de bière.

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