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En Alsace

Entortiller les lianes de houblon en priant pour les ventes de bière


AFP le 25/04/2020 à 14:Apr

(©GettyImages)

L'accrochage du houblon sur les fils qui verront la plante grimper de plusieurs mètres bat son plein en Alsace, principale région productrice de France, mais les producteurs travaillent dans le brouillard, suspendus à la reprise du marché de la bière.

« Il faut être vigilant à bien choisir les brins de houblon qui sortent de terre sur la rangée, pas sur le bord, des brins d’une taille régulière et surtout il faut les enrouler dans le bon sens, dans le sens des aiguilles d’une montre » : dans son exploitation de Grassendorf (Bas-Rhin), Aurélien Ingwiller a commencé sous un soleil resplendissant l’« entortillage » des lianes de son houblon. Cette étape est primordiale pour préparer la récolte, à partir de la fin août, des précieux cônes qui apporteront amertume et arômes à la bière.

Sous les hauts échafaudages de ses houblonnières s’activent, sécateur en main, non la quinzaine de saisonniers expérimentés qu’il emploie habituellement pour cette phase de trois à quatre semaines, mais des novices, intérimaire ou carreleur au chômage technique, qu’il a fallu former.

En temps normal, « la filière houblon au niveau national utilise 450 à 500 saisonniers pendant environ 2 mois, certains viennent de Pologne, de Roumanie, d’autres sont recrutés localement », explique son père Bernard Ingwiller, président de l’Association générale des producteurs de houblon (AGPH).

Retrouvez aussi : Une filière du houblon français pour étancher la soif des brasseurs

Une France à l’arrêt

La solidarité locale et la mobilisation d’étudiants et de salariés au chômage partiel, dont ceux de micro-brasseries, ont permis de pallier l’absence des saisonniers habituels et de pourvoir pratiquement tous les besoins de main d’œuvre. Mais les producteurs de houblon d’Alsace, une région qui fournit la quasi-totalité du houblon français, restent inquiets : dans une France à l’arrêt, sans bars, restaurants ni festivals, les brasseurs vont-ils leur acheter les quantités prévues ? « Plus ça dure, plus ça va être compliqué. On s’attend à des reports de contrats parce que les houblons déjà livrés n’auront pas été consommés », explique Antoine Wuchner, secrétaire général de l’AGPH.

Avec une culture à la fois exigeante en investissements initiaux – au moins 15 000 euros par hectare rien que pour les échafaudages – et gourmande en main d’œuvre, les contrats pluriannuels passés avec certains brasseurs constituent une sécurité précieuse pour les producteurs. « Il est trop tôt pour savoir quelle sera l’étendue des dégâts. Des discussions sont en cours ça et là pour repousser certains contrats mais elles ne portent pas sur des gros volumes pour l’instant », indique Antoine Wuchner.

Le houblon peut se conserver trois ans s’il est bien conditionné, sous atmosphère inerte, et même une dizaine d’années sous forme d’extraits, ce qui permettra aux brasseurs qui ont réduit leur production à cause du confinement de puiser dans leurs stocks non utilisés.

En chute libre

Fondateur de la brasserie artisanale Uberach, à quelques kilomètres de l’exploitation d’Aurélien Ingwiller, Eric Trossat évoque des ventes de bière « en chute libre ». « Avril, mai, juin sont nos plus gros mois, avec les terrasses qui ouvrent, les étudiants qui sont encore là, tous les événements festifs… », soupire-t-il. Selon Maxime Costilhes, délégué général de Brasseurs de France, « la brasserie est à l’arrêt pour 35 % de ses volumes » et l’inquiétude des professionnels du secteur dépasse largement les frontières nationales.

Paradoxalement, 70 % de la production hexagonale de houblon – qui ne représente que 1 % de la production mondiale – sont exportés alors que les brasseurs français importent 85 % de leur houblon des États-Unis ou d’Allemagne, notamment pour trouver des variétés qui ne sont pas produites en France.

Gros producteurs et exportateurs, les États-Unis constituent aussi une destination privilégiée du houblon alsacien et « c’est là-bas qu’on s’attend à quelques reports de contrats », note Antoine Wuchner. Il craint également un affaissement des prix du houblon si la récolte de cet été est satisfaisante et que les principaux pays producteurs ne réduisent pas les volumes récoltés. Toutefois, avec une gamme de variétés plus riches et des clients plus diversifiés, les houblonniers français sont mieux armés qu’il y a une dizaine d’années pour résister à la crise, assure-t-il.

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