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Dossier : Betteraves et néonicotinoïdes

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Lubrizol

Dans les Hauts-de-France, le nuage a « choisi ses communes »


AFP le 11/10/2019 à 12:Oct
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« Le nuage n'est pas passé dans le Nord ? Il y avait un mur ? » A Villers-Outréaux (Nord), commune frontalière de l'Aisne, département où ont été prises de nombreuses restrictions agricoles après l'incendie de l'usine Lubrizol, la méthode des autorités pour recenser les retombées du panache interroge.

« Après la pluie, des suies, j’en ai eu plein ma voiture ! C’était huileux, compliqué à enlever, il fallait y aller à la brosse », mime Yvan, 29 ans, qui vit dans cette bourgade de 2 000 habitants non recensée par les services de l’Etat mais limitrophe de Gouy (Aisne), village, lui, officiellement concerné.

Grises ou très noires, éparses mais persistantes, ces longues coulées de suies sont toujours visibles, deux semaines après l’incendie de l’usine Seveso de Rouen, sur la camionnette blanche et le spa gonflable d’Isabelle, gérante d’un camping à Honnecourt-sur-Escaut. « Personne n’est venu vérifier quoi ce que soit ici, je ne savais même pas qu’on pouvait le signaler ! C’est grave », regrette la patronne.

D’Escaudoeuvres à Maubeuge en passant par la métropole lilloise, des habitants ont assuré à l’AFP avoir retrouvé ces traces d’hydrocarbures chez eux sans être pris en compte. Le 26 septembre après-midi, jour de l’incendie de l’usine chimique, l’Agence régionale de santé reconnaît que « des fumées traversent la région Hauts-de-France », aux effets « irritants et odorants mais sans toxicité aiguë ».

Trois jours après, les autorités demandent aux habitants de signaler les suies via un numéro vert, puis publient sur cette base une première liste d’une centaine de municipalités. Trois apparaissent dans le Pas-de-Calais… pour lesquelles la préfecture n’a finalement pas pris d’arrêté limitant les activités agricoles. Elle a toutefois fait procéder à des « prélèvements de traces de suies dans cinq communes ».

Lire aussi : Incendie de l’usine Lubrizol à Rouen – De Rouen à Saint-Quentin, ensilages interdits et arrêts de collecte laitière

Peau de léopard

L’Aisne, l’Oise, la Somme et le Nord – terres de maïs, de pommes de terre et de betterave sucrière – dressent elles par « précaution » une carte en peau de léopard des communes touchées, où les agriculteurs ont interdiction de commercialiser leurs produits. De nombreuses apparaissent en pointillé le long de la frontière nord de l’Aisne et de la Somme, mais aucune parmi leurs voisines limitrophes du Nord, où seules Douai et Villereau sont recensées.

« Soit on dit « il y a une contamination sur ces deux communes » et on peut préjuger qu’autour, il s’est passé quelque chose, soit on a peut-être crié un peu fort et, dans ce cas, il y a eu deux communes de trop consignées », avance Christian Durlin, président de la chambre d’agriculture du Nord, dans l’attente des résultats d’analyses.

« Les agriculteurs qui sont autour ne sont pas rassurés », concède-t-il. Mais « ils continuent à fonctionner normalement (…) Ils ne vont pas jeter leur production. S’ils ne sont pas dans le périmètre, ils ne seront pas remboursés ».

Pour Jérémie Crépel, porte-parole d’EELV dans la région, « les préfectures n’arrivent visiblement pas à recenser correctement les zones touchées. Ça veut dire qu’il y a potentiellement des produits agricoles en pleine récolte qui sont contaminés ».

Élise Ammeux, maraîchère bio de Ramicourt (Aisne), a elle fait le choix d’arrêter de vendre ses légumes et œufs malgré le manque à gagner. Membre de la Confédération paysanne, elle a envoyé des photos de suies à la préfecture. Sa commune n’a pas été ajoutée. « Pourquoi ils n’ont retenu que 20 communes ? Pourquoi le principe de précaution n’est-il pas appliqué sur une zone cohérente ? », lance-t-elle. « Est-ce pour des enjeux financiers ? » « Le nuage de Rouen, il choisit ses villages », ironise Patricia Maes, également maraîchère bio, persuadée que les maires, pour certains agriculteurs, ont « eu le dernier mot ».

« Principe de réalité »

À Lerzy (Aisne), le maire affirme avoir fait remonter en vain le signalement d’une exploitante, qui avait constaté des traces suspectes dans ses salades. « La préfecture fait son travail, comme elle peut (…) mais elle a dû se trouver dépassée », avance Jérôme Langhendries. Mais « puisque les services de Météo France sont capables de suivre les nuages par radar, pourquoi la cartographie n’a-t-elle pas été réalisée ainsi ? »

Interrogée sur les critères, la préfecture de l’Aisne évoque la « présence manifeste de suies, le nombre de signalements relevés (…) vérifiés par le maire et confirmés par la gendarmerie ».

Celle du Pas-de-Calais indique que « l’une des conditions pour une commune était de regrouper plusieurs signalements dont un émanant d’un agriculteur ». Dans le Nord, on assure que « l’ensemble des signalements ont été traités » avec « confirmation visuelle » par les gendarmes ou pompiers. « La prise de mesures contraignantes (…) implique une présence de suie étendue et constatée sur les champs », selon la préfecture. « Il faut concilier principe de précaution et principe de réalité ». Partout, les autorités soulignent un « phénomène localisé ».

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