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Retours d'expériences

En Auvergne-Rhône-Alpes, des agriculteurs repensent leurs systèmes de cultures


TNC le 06/02/2023 à 10:00
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Le projet Descinn regroupe 7 exploitations partenaires réparties sur les départements de l'Allier, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme.  (©Pixabay)

Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, sept exploitations ont intégré le projet Descinn (Développement et étude de systèmes de cultures innovants) depuis 2016 ou 2019. Comme son nom l'indique, ce dispositif expérimental a pour but d'accompagner les agriculteurs dans les changements, via l'expérimentation-système.

« L’objectif d’une expérimentation-système est d’évaluer la faisabilité technique d’un nouveau système de culture, ainsi que la cohérence agronomique des décisions prises et d’établir les règles de décision pour le piloter », indique Thomas Pacaud, responsable de pôle à la Chambre d’agriculture (CA) régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes. Parmi les particularités du projet Descinn1 : « ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui définissent le système à tester, lors d’un atelier de co-conception. En cohérence avec leurs objectifs, le contexte et le matériel présent sur leur exploitation », précise Mickaël Bimbard, conseiller agronomie à la CA de l’Allier. 

Allonger la rotation

Installé à Neure au nord de l’Allier, Jean-Marc Chamignon apprécie notamment « les échanges avec les autres agriculteurs engagés, et l’appui technique de la CA. On peut poser les problèmes à plusieurs », précise-t-il. Il a intégré le projet Descinn en 2019 : cette année-là, il a eu l’opportunité de reprendre un étang aux portes de son exploitation.

« Cela m’a permis de sécuriser les cultures d’hiver, d’intégrer notamment du maïs pour allonger la rotation, initialement colza/blé/orge, et ainsi contribuer à limiter le souci de ray-grass résistants », indique l’agriculteur. Autre objectif recherché : sécuriser l’autonomie fourragère, car Jean-Marc Chamignon gère un troupeau de 140 vaches de race charolaise. En cas de manque d’herbe, le maïs peut être transféré en fourrage.

Une partie de la sole de maïs est également précédée de dérobées (moha, trèfle d’Alexandrie, ray-grass d’Italie…), ce qui laisse une possibilité de récolte et permet une couverture hivernale du sol. 

La luzerne a fait son entrée dans l’assolement de l’exploitation. Là encore, double avantage : allongement de la rotation et renforcement de l’autonomie protéique de l’exploitation. L’agriculteur a aussi testé le tournesol, mais « c’est plus compliqué dans notre secteur », ajoute-t-il . 

Limiter le travail du sol et l’érosion

Autre partenaire du réseau Descinn depuis 2016 : Didier Manlhiot, installé à Saint-Rémy-de-Chargnat dans le Puy-de-Dôme. « Les terres de l’exploitation étant très usantes, nous avons cherché à réduire le travail du sol. Nous avons observé que cela fonctionnait et permettait de réduire les coûts de production », explique l’agriculteur. Afin de limiter l’érosion de sols, il a également développé l’usage des couverts végétaux. « Le but est aussi de faire revenir les auxiliaires de culture, pour limiter le recours aux produits phytos ». Dès qu’il le peut, il favorise l’usage de solutions de biocontrôle. 

Pour Didier Manlhiot, la culture du colza représente un enjeu important dans sa transition au semis direct « puisqu’il structure le sol grâce à ces pivots et favorise la gestion des graminées dans des rotations céréalières du secteur ». « Les plantes compagnes pérennes (féverole, trèfle, et luzerne ou lotier) utilisées pour le colza associé servent aussi pour l’interculture après la récolte du colza et le semis du blé suivant est réalisé dans ce couvert de légumineuses.  »

Entre les campagnes 2016-2017 et 2021-2022, le taux de MO de l’exploitation est passé de 2 à 3 % environ, et les techniques d’agriculture de conservation n’ont pas pénalisé la productivité des cultures. 

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Premiers enseignements

Toutes les expérimentations-systèmes menées dans le cadre de Descinn font l’objet d’une modélisation avec l’outil Systerre, pour construire des indicateurs relatifs sur les différents facteurs d’évaluation (rentabilité technico-économique, temps de travail, consommation de produits phytos, risque d’émissions de gaz à effet de serre…). Si les résultats complets par exploitation ne seront disponibles qu’à partir de l’automne 2023, la chambre d’agriculture régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes a présenté, lors d’un webinaire, les premières observations issues de la mise en commun des projets Descinn et Terrae.

(©CA Aura)

Jean-François Vian, enseignant-chercheur à l’Isara, docteur en sciences agronomiques, remarque « une augmentation assez générale des charges de semences entre les systèmes de référence et les systèmes innovants, essentiellement due aux couverts végétaux. Elle n’est pas toujours compensée par des baisses de charges ». Toutefois les équipes notent « une diminution des achats d’engrais grâce à la valorisation des couverts végétaux et à l’insertion de légumineuses dans les rotations ». Cela entraîne aussi des bénéfices quant aux émissions de GES. 

Concernant les charges de mécanisation, « les économies sont faibles car les systèmes de référence étaient déjà en TCS et/ou avec du matériel amorti ». Pour Jean-François Vian, « les résultats auraient été différents si les systèmes initiaux étaient concernés par une plus forte mécanisation ou en système labour ». « Le facteur carburant a aussi un faible effet dans le bilan global. » Une baisse des IFT (indice de fréquence de traitement) est constatée grâce à la diversification de la rotation. Pour les systèmes en transition vers l’agriculture de conservation des sols, l’IFT herbicides cultures n’augmente pas si la rotation est allongée, par contre on observe une hausse de l’IFT herbicides pour les intercultures.

Parmi les autres constantes observées : « la maîtrise technique, notamment en ACS, est déterminante surtout pendant la période de transition. Pour essayer d’éviter certains échecs techniques, il recommande de passer par un système d’accompagnement, des discussions collectives, des formations… pour repérer des combinaisons de pratiques qui fonctionnent et des règles de décision pour pouvoir intervenir au bon moment. »

Dans les résultats jusque-là analysés, « les charges liées aux couverts végétaux sont non négligeables pour un retour sur investissement parfois faible ». Mais les équipes précisent : « toutes nos modélisations sont basées sur des prix d’avant 2022. Si on refaisait la simulation, avec le prix des engrais actuel, l’intérêt des couverts végétaux serait plus flagrant ». « La production de semences à l’échelle territoriale ou de l’exploitation peut également être une solution pour réduire les charges. » « Si les effets sur l’environnement sont variables selon les systèmes : la clé de la gestion des GES reste la gestion de l’azote et la baisse des produits phytosanitaires est essentiellement liée à la diversification des rotations. » 

Ces observations seront à affiner avec la suite du projet et comme précisé plus tôt, les premiers résultats par exploitation seront publiés à partir de l’automne 2023. 

1. Descinn est coordonné par la chambre régionale d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes et financé dans le cadre du dispositif Pepit’Aura (Région Aura), du Casdar FranceAgriMer et du Laboratoire d’innovation territorial grandes cultures en Auvergne.