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Classement de Saint-Émilion

Amende requise contre un grand nom du vignoble


AFP le 21/09/2021 à 18:31

Une amende de 100 000 euros, partiellement assortie de sursis, a été requise mardi contre Hubert de Boüard, grande figure du Bordelais et copropriétaire du célèbre château Angélus, accusé d'avoir été juge et partie dans le classement des grands crus de Saint-Émilion par trois propriétés recalées.

M. de Boüard, 65 ans, et Philippe Castéja, 72 ans, important négociant et propriétaire du château Trotte Vieille, ont répondu à Bordeaux de « prise illégale d’intérêt » pour leur implication présumée, à des degrés divers, dans l’élaboration entre 2010 et 2012 de ce prestigieux classement qui garantit d’importantes retombées commerciales, financières et médiatiques. Concernant M. Castéja, le représentant du ministère public a laissé une éventuelle sanction à « l’appréciation » du tribunal, qui a mis sa décision en délibéré au 25 octobre. Dans ce procès scruté par le monde viticole et marqué par des débats techniques, notamment sur les critères de classement, les deux prévenus ont nié en bloc avoir usé d’une quelconque influence.

En 2012, le classement promeut Angélus premier grand cru classé « A », sommet de la pyramide, et maintient Trotte Vieille « B », récompensant huit autres propriétés pour lesquelles M. de Boüard est consultant ou superviseur. Les deux prévenus sont alors membres du comité national des vins de l’Inao, rattaché au ministère de l’Agriculture. Cet organe a validé le règlement du classement et ses résultats, élaborés par une commission dont il avait nommé les membres. En outre, M. de Boüard était membre de l’Organisme de défense et de gestion (ODG) des vins de Saint-Émilion, qui a participé à l’élaboration du cahier des charges avec l’Inao selon l’instruction.

« Des petits arrangements entre amis » au sein de « deux organismes aux liens incestueux », a affirmé Éric Morain, avocat des parties civiles, selon lequel Hubert de Boüard a joué un rôle « pivot » dans un « classement truqué ». Sur l’action civile, il a demandé que les prévenus versent au titre du préjudice matériel et moral quelque 72 millions d’euros aux trois propriétés déchues, des domaines de taille modeste précédemment toujours classés. « Le prix de la terre et du travail des hommes », a-t-il dit.

« Complètement vaporeux »

La procédure pénale, entamée depuis neuf ans par une plainte contre X et parallèle à un volet administratif toujours en cours, a connu de multiples rebondissements, dont le plus étonnant a été en 2019 un rare appel par le parquet – qui avait requis le non-lieu après l’instruction – de la décision de renvoi en correctionnelle. Mardi, le procureur adjoint Jean-Luc Puyo a fait un virage à 180 degrés, indiquant qu’il « ne partageait pas l’analyse juridique » faite à l’époque par le parquet. Il a souligné la « participation parfois dynamique » de M. de Boüard « tout au long de la procédure de classement ». Il a été « un définisseur, un impulseur », a-t-il assuré, jugeant M. Castéja « bien plus en retrait ». Il a toutefois requis bien en deçà des 5 ans de prison et 500 000 euros d’amende encourus.

Les avocats des prévenus ont chacun plaidé la relaxe. « Évidemment », a dit Antoine Vey, conseil de M. de Boüard. « Si vous ne relaxez pas, alors pourquoi continuer à s’engager dans la vie publique ? M. de Boüard est un homme intègre dans la défense de son terroir ». Dans ce « dossier qui ne tient pas », « aucun élément n’a rapporté la preuve de sa culpabilité », a estimé l’avocat, qui a fait le procès du délit de prise illégale d’intérêt, « complètement vaporeux ».

Annulé par la justice en 2006, bousculé en justice depuis 2012, le classement de Saint-Emilion est également malmené en interne puisque les historiques châteaux Ausone et Cheval-Blanc, premiers grands crus classés « A » depuis l’origine, n’ont pas candidaté pour 2022, jugeant qu’il laisse trop de place à des « éléments secondaires » (notoriété, accueil du public…) au détriment des « fondamentaux » (terroir, dégustation…). Des « dérives » décrites lundi à la barre par l’œnologue bordelais Franck Dubourdieu, qui a estimé que ce classement renouvelable (tous les dix ans) était « malade ».