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Groupe Soufflet

À la baguette de père en fils


Économie et gestion le 25/03/2018 à 08:06

D'un petit commerce de grains de l'Aube, la famille Soufflet a fait, en 60 ans, le premier malteur mondial et un acteur incontournable du commerce des céréales, présent dans 18 pays, de la semence au fournil.

« J’étais chauffeur, j’étais l’homme à tout faire, j’étais le bouche-trou, on n’était pas beaucoup à l’époque, on était sept », se souvient Michel Soufflet, patriarche de cette multinationale à capitaux familiaux dont il a confié en 2001 les commandes à son fils Jean-Michel, et qui compte aujourd’hui 1 000 fois plus de collaborateurs. « Je suis parti militaire deux ans et, quand je suis rentré, mon père est tombé malade. Il a fallu que je me débrouille », poursuit Michel Soufflet dans son bureau de Nogent-sur-Seine (Aube), à deux pas de la malterie qui transforme l’orge en malt, ingrédient de base de la bière. Cette réussite familiale sur laquelle le groupe commence à peine à communiquer, ni le père, 87 ans, ni le fils, 60 ans, n’envisagent d’en confier les rênes à d’autres. « Mon objectif a toujours été, depuis toujours, de rester indépendant et de n’avoir aucun associé », confie à l’AFP Michel Soufflet. « Moi, je serais hyper malheureux et je ne saurais pas diriger une boite qui est en bourse », déclare son fils à l’unisson, en défendant « une vision de développement à moyen terme ».

Dans les gènes de croissance de l’entreprise figurent l’innovation en matière de logistique et la conquête de l’export. « Dans les années 1950, on a commencé à avoir une culture un peu plus intensive. Le problème, c’était la récolte : les paysans mettaient le grain dans des sacs, les sacs dans des voitures avec des chevaux et ils ramenaient ça à la ferme. Je me suis rendu compte que si on donnait un moyen de transporter la récolte de manière plus économique, ça devait nous permettre de gagner des clients », explique Michel Soufflet. Il achète alors un camion avec un système de « roll on » : une benne placée au bout du champ, remplie par la moissonneuse-batteuse de l’exploitation et levée par un vérin pour être mise, pleine, sur le camion. Ce système permet effectivement à l’entreprise d’accroître le nombre de ses clients et, au fur et à mesure, de construire ses propres silos. Elle se développe en France hors de son Aube natale, avant d’exporter et de s’implanter loin de ses terres d’origine. Après des débuts un peu chaotiques, la malterie construite à Saint-Pétersbourg à la fin des années 1990 a été la tête de pont de son développement à l’est, notamment au Kazakhstan. Outre les orges de brasserie, le groupe collecte aussi du blé et du maïs en Roumanie et en Ukraine. « On devrait terminer l’année aux environs de 2 millions de tonnes de céréales collectées dans l’ensemble de ces pays, hors malterie », prédit Jean-Michel Soufflet, qui table sur 2,5 millions de tonnes l’an prochain. S’il a réalisé l’an dernier 60 % de ses 4,45 milliards d’euros de chiffre d’affaires à l’étranger, Soufflet n’oublie pas pour autant la France où il a collecté les deux tiers de ses céréales. Il inaugurait ainsi vendredi un nouveau terminal céréalier au port de La Rochelle, qui doit permettre de supprimer des milliers d’aller-retour de camions lors du chargement des bateaux. Et redonner un peu de compétitivité aux épis français face à la féroce concurrence du blé russe. Jean-Michel Soufflet prévient cependant : « la compétitivité dans les ports, c’est une chose, mais il y a la compétitivité sur la logistique amont ! ». Il réclame des « voies ferrées efficientes, à tarif abordable ».

Pour répondre au défi des blés de la Mer Noire, le dirigeant est aussi un farouche défenseur de l’amélioration de la qualité en protéines du blé français, afin de faciliter la transformation en pain. Dans cette optique, il milite pour la possibilité d’utiliser en France les nouvelles techniques de sélection génétique des semences, les NBT (« new breeding techniques ») critiquées par leurs détracteurs comme les « nouveaux OGM ». Autre levier de développement de l’agriculture, selon Jean-Michel Soufflet, la technologie et la transformation. Le groupe, qui a racheté les boulangeries industrielles Neuhauser en juillet 2014, couvre d’ailleurs toute la chaîne de valeur du blé. « On commence à réfléchir à de nouveaux investissements », indique Jean-Michel Soufflet qui, sans se dévoiler, annonce son intention de « développer davantage de filières en boulangerie, essayer de développer le bio ». Le groupe a également investi dans son pôle biotechnologies pour la fabrication d’enzymes utilisées en boulangerie et pour mettre au point ses propres levains. Autant de chantiers qui ôtent toute idée d’oisiveté au père comme au fils ». On n’a jamais distribué de dividendes aux actionnaires, parce que de toute façon on n’a pas besoin d’argent, on n’a pas le temps de le dépenser », conclut le patriarche.