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Relations commerciales, coops, phytos

Tout savoir des dernières ordonnances présentées mercredi 24 avril


TNC le 24/04/2019 à 18:08
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Lors du conseil des ministres du mercredi 24 avril 2019, cinq ordonnances - les dernières pièces pour la mise en œuvre effective de la loi Alimentation - ont été présentées. L'ordonnance contre les prix abusivement bas est censée permettre aux agriculteurs d'être mieux rémunérés sur leurs produits. Le gouvernement a aussi détaillé les ordonnances sur l'indépendance des activités de conseil à l'utilisation des produits phytos, sur les coopératives, sur les pouvoirs de police judiciaire des agents du ministère de l'agriculture, et sur les missions des chambres d'agriculture.

En conseil des ministres mercredi 24 avril 2019 dans la matinée, Emmanuel Macron s’est vu présenter par ses ministres pas moins de cinq textes – quatre ordonnances et un projet de loi de ratification d’ordonnance – en application de la « loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous » (Egalim).

Le ministre de l’agriculture Didier Guillaume et celui de l’économie Bruno Le Maire ont ainsi présenté des textes sur :

  • l’action en responsabilité pour prix abusivement bas ;
  • La transparence, les pratiques restrictives et pratiques commerciales prohibées;
  • l’exercice et le transfert, à titre expérimental, de certaines missions dans le réseau des chambres d’agriculture ;
  • l’indépendance des activités de conseil à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et au dispositif de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques ;
  • la coopération agricole ;
  • l’extension des pouvoirs de police judiciaire des agents du ministère de l’agriculture en matière de contrôles.

Sur ces dossiers, voilà ce que prévoit la loi Alimentation et les ordonnances présentées en conseil des ministres.

Prix abusivement bas

L’ordonnance présentée par le ministre de l’économie Bruno Le Maire prévoit qu’un juge puisse intervenir en cas de prix déconnecté de la réalité « économique ».

Le texte « systématise la faculté pour un fournisseur de produits agricoles ou denrées alimentaires d’engager la responsabilité de l’acheteur s’il impose un tel prix, alors que ceci n’était auparavant possible que rarement, dans des situations de marché critiques. Par ailleurs, le juge pourra désormais s’appuyer sur des indicateurs de coût de production pour caractériser le prix abusivement bas ».

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Transparence, pratiques commerciales restrictives ou prohibées

La seconde ordonnance présentée par Bruno Le Maire « consacre et renforce l’arsenal juridique du ministre chargé de la protection de l’ordre public économique pour sanctionner les abus de la grande distribution dans ses relations avec ses fournisseurs. Simplifiées et recentrées sur les trois notions cardinales de déséquilibre significatif, d’avantage sans contrepartie, et de rupture brutale de la relation commerciale, ces dispositions rénovées du code de commerce sont au cœur de la réforme issue des États généraux de l’alimentation.

L’ordonnance pose aussi un cadre plus clair pour les conventions passées avec les distributeurs, prenant en compte les attentes des producteurs et fournisseurs de produits de grande consommation, notamment alimentaires.

Les dispositions spécifiques aux produits agricoles sont clarifiées et renforcées, par une obligation de prise en compte tout au long de la chaîne économique des indicateurs de coûts de production. Le non-respect de cette obligation pourra être sanctionné. »

Séparation de la vente et du conseil

La loi et l’ordonnance entendent rendre l’activité de vente de produits phytosanitaires « incompatible avec l’activité de conseil ». Les textes envisagent « d’imposer une séparation capitalistique des structures exerçant ces activités, en assurant l’indépendance des personnes physiques exerçant ces activités, en permettant l’exercice d’un conseil stratégique et indépendant, en permettant la mise en œuvre effective des certificats d’économie ».

Ainsi, à compter du 1er janvier 2021 :

  • les activités de vente de produits phytosanitaires et de conseil à leur utilisation devront être séparées. Un délai supplémentaire à la séparation entre les activités de vente et de conseil sera laissé pour les microentreprises et celles localisées dans les outre-mer ;
  • les agriculteurs devront faire l’objet d’un conseil stratégique deux fois tous les cinq ans. Des dérogations à l’obligation de conseil stratégique sont prévues pour les agriculteurs engagés dans des démarches reconnues de réduction des produits phytosanitaires ;

L’ordonnance pérennise le régime d’expérimentation des certificats d’économie de produits phytos, mais aussi de « fixer des objectifs à atteindre à une date antérieure à 2021. »

La coopération agricole

La loi Alimentation prévoit de redéfinir les relations entre les sociétés coopératives agricoles et leurs associés coopérateurs, notamment pour simplifier les conditions de départ de ces derniers, améliorer leur information. Il s’agit aussi de renforcer, d’une part, le rôle de l’ensemble des associés coopérateurs dans la détermination des éléments qui constituent la rémunération et, d’autre part, la transparence dans la redistribution des gains des coopératives à leurs associés coopérateurs.

Le code rural et de la pêche maritime est modifié pour conforter l’exemplarité du modèle coopératif en faisant bénéficier les associés-coopérateurs des avancées de la loi, notamment :

  • la lisibilité des informations des associés coopérateurs sur leur rémunération et sur la gouvernance de leur coopérative est améliorée ;
  • des dispositions prévoyant la possibilité d’engager la responsabilité d’une coopérative dans le cas où la rémunération des apports des associés-coopérateurs est anormalement basse sont introduites. Elles sont adaptées aux spécificités du modèle coopératif ;
  • les conditions de signature d’un nouveau contrat d’apport entre l’associé-coopérateur et sa coopérative sont revues afin de définir une date de fin d’engagement unique.

Pour assurer la mise en œuvre de ces dispositions, le Haut conseil de la coopération agricole (HCCA) et le médiateur de la coopération, instances spécifiques à la coopération agricole, font l’objet d’évolution.

Le rôle du HCCA  est renforcé. Il pourra diligenter des contrôles complémentaires ; les sanctions émises par ce dernier seront graduées : courrier d’avertissement, convocation d’une assemblée générale de la coopérative, saisine du président du tribunal pour prononcer des astreintes.

Afin d’assurer son indépendance, le médiateur de la coopération agricole sera nommé par décret. Les modalités de coordination de l’action du médiateur de la coopération agricole avec celle du médiateur des relations commerciales agricoles seront également précisées par décret.

Les missions des chambres d’agriculture

Le Gouvernement a aussi présenté un projet de loi pour ratifier l’ordonnance du 30 janvier 2019 relative à l’exercice et au transfert, à titre expérimental, de certaines missions dans le réseau des chambres d’agriculture.

L’Etat demande aux chambres d’agriculture, dans le cadre d’une expérimentation de trois ans, d’intégrer le volet sanitaire, la traçabilité et le bien-être animal dans les informations ou conseils à caractère général qu’ils délivrent à l’attention des éleveurs. Sont visés dans cette ordonnance les conseils délivrés en amont des contrôles relatifs à la conditionnalité (dans le cadre de la politique agricole commune), ainsi que ceux visant des investissements lourds en infrastructures et pour lesquels ces aspects ne doivent en aucun cas être occultés, le tout dans l’intérêt des éleveurs.

Le texte doit aussi permettre au réseau « de s’engager, sur la base du volontariat, dans une nouvelle organisation à l’échelle régionale autour de chambres régionales aux missions accrues, tout en offrant le meilleur service possible et au plus près du territoire. »

« Le rôle des chambres d’agriculture devra être précisé, notamment par l’intermédiaire d’un contrat d’objectif et de performance, sur lequel les organismes à vocation sanitaire seront consultés sur les aspects qui les concernent », avait précisé Didier Guillaume en réponse à une question d’un sénateur.

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Pour rappel, la loi Alimentation a été élaborée par l’ensemble de la filière agro-alimentaire, des producteurs aux distributeurs en passant par les consommateurs, durant les États généraux de l’alimentation (EGA), en réponse à la grave crise qu’a connue l’agriculture française en 2015 et 2016 et au désespoir des agriculteurs qui, à bout, vont parfois jusqu’au suicide.

Lancé au début du quinquennat pour redonner du pouvoir d’achat aux agriculteurs et éleveurs en crise, cet ambitieux chantier avait pour vocation de sortir d’un effet domino intenable : la guerre des prix entre les quatre grands de la distribution en France les pousse à réclamer des prix toujours plus bas auprès de leurs fournisseurs de l’industrie agro-alimentaire, qui, eux-même achètent à leur tour le plus bas possible la matière première agricole auprès des paysans, en bout de chaîne.

Le président Emmanuel Macron a accompagné ce chantier d’une obligation pour les filières agroalimentaires de se réorganiser pour peser davantage dans les négociations en recourant systématiquement aux contrats commerciaux, tout en se réorientant vers des pratiques d’agriculture plus durables.

Bon an, mal an, toutes les filières ont fini début 2019 par lui remettre un « plan de filière », listant leurs engagements communs et leurs projets de développement sur cinq ans.

En retour, elles attendaient de pied ferme l’issue des négociations commerciales annuelles sur les prix entre la grande distribution et les industriels qui s’achèvent chaque année le dernier jour de février.

Résultats mitigés

Las, pour la première année d’application de la loi Egalim, les résultats se sont avérés très mitigés. Si la filière laitière s’en est plutôt mieux sortie, avec la signature de contrats tripartites garantissant des prix stables aux éleveurs, les autres secteurs de production agricole estiment que le compte n’y est pas.

« L’espoir que nous avons, c’est qu’on tire enseignement de tout ce qui ne va pas bien dans tous les autres produits que le lait pour faire mieux l’année prochaine. Il reste encore une pression à la baisse exercée par certains distributeurs, et je dis bien certains, parce qu’il y en a de plus vertueux que d’autres », a déclaré la semaine passée la présidente de la FNSEA Christiane Lambert, à l’issue d’une réunion de suivi des négociations commerciales réunissant distributeurs, industriels de l’agroalimentaire et agriculteurs à Bercy.

Le syndicat agricole majoritaire estime que la hausse du seuil de revente à perte (SRP), l’encadrement des promotions en prix et en volume et l’interdiction de prix abusivement bas, sont des outils indispensables à une contractualisation rénovée pour permettre la prise en compte des coûts de production des agriculteurs et une meilleure répartition de la valeur tout au long de la chaîne alimentaire.

Tous s’accordent cependant sur le fait qu’il faudra laisser du temps à cette loi, dont la plus grande partie des mesures s’appliquent à titre expérimental pour deux ans, avant de voir des résultats positifs concrets « dans les cours de ferme », en amont de la filière.

« Nous sommes à l’année N, cette année N montre qu’il y a des avancées sur le lait, mais ces avancées ne sont pas encore répercutées comme il le faudrait chez les agriculteurs, donc il faudra progresser l’année prochaine », a constaté le ministre de l’agriculture Didier Guillaume, à l’issue de cette même réunion.