Tassement du sol : « Les intégrales ont gagné, il faut faire avec »
TNC le 26/10/2023 à 16:30
Le salon Betteravenir marque l’évènement des arracheuses intégrales, qui trônent parmi les plus lourdes machines du monde agricole. La filière s’adapte et tente de trouver des solutions pour préserver les sols.
Sur le salon Betteravenir (25 et 26 octobre à Berny-en-Santerre), il y a d’un côté un village technique « Anticiper le risque de tassement », où il est question de vie du ver de terre, de carottage à la main des parcelles et de développement harmonieux des pivots. Et d’un autre côté, 50 mètres plus loin, un défilé d’arracheuses qui fait la part belle aux intégrales (8 machines sur les 10 présentées) avec des trémies allant jusqu’à 30 tonnes. « Les intégrales sont là, elles ont gagné le marché, il faut faire avec et s’adapter », résume Bertrand Deloste, d’Agro-Transfert Ressources et Territoires, qui développe des innovations au service de l’agriculture régionale.
Manque de main-d’œuvre, parcelles toujours plus grandes, un côté pratique et tout-en-un séduisant… « Une intégrale effectue le travail d’au-moins trois personnes. Avec les problèmes de recrutement, c’est un argument qui porte aujourd’hui », poursuit Bertrand Deloste. « Une intégrale, c’est tout compris, c’est plus simple, mais c’est jusqu’à 100 tonnes qui roulent sur une parcelle », ajoute Ewen Gery, ingénieur agronomique chez Tereos, le groupe coopératif sucrier français et géant mondial du secteur.
Multiplier les essieux
Que ce soit Grimme avec sa Rexor 6300 d’une capacité de 30 tonnes, Holmer avec sa Terra Dos 5 qui arrache 12 rangs d’un coup, Ropa avec sa Panther 2S et sa trémie de 30 m3 de volume… Les constructeurs voient de plus en plus grand. Pour atténuer les effets de ces mastodontes, ils misent tous sur « une bonne utilisation de la machine », c’est-à-dire dans des conditions météo adaptées. Ils adaptent aussi leur technologie, par exemple Ropa, avec le système R-Soil Protect et le châssis R-Balance, qui maintient la machine à l’horizontale en cas de dévers pour réduire l’empreinte au sol des roues, ou encore Vervaet, avec la présence d’une roue par rang pour une pression uniforme au sol sur sa Q-621.
Il reste encore des solutions en chantier décomposé comme chez JPS Soyez, avec sa combinaison effeuilleuse Scalp’air et arracheuse 12 rangs JPS qui offre « une reprise du sol très facile derrière même en mauvaises conditions et zéro tassement sur 55 % du champ après un chantier ». Ou encore l’arracheuse-chargeuse SBH 6D de Franquet qui n’affiche « que » 8,5 tonnes sur la balance et récolte jusqu’à 1 hectare par heure. « Avec les chantiers décomposés, on multiplie les machines et cela fait toute la différence car la charge à l’essieu est mieux répartie », détaille Damian Martin, ingénieur chez Agro-Transfert.
Gare à la marche en crabe
Des techniques existent pour limiter l’impact des arracheuses intégrales. Optimiser son trafic et son parcours avec les systèmes Controlled Traffic Farming, vidanger dès que possible et charger la trémie à 75 % maximum, des pneus radiaux larges avec une pression de gonflage diminuée, un jeu de rotation de bennes suffisant, mettre en pause le chantier le temps que le sol ressuie, privilégier plusieurs passages légers à un seul passage lourd…
Attention : parmi toutes ces solutions, la marche en crabe, longtemps présentée par les constructeurs comme idéale pour éviter le tassement, est à utiliser avec des pincettes. « Par temps humide, c’est une catastrophe, avec des risques élevés de tassement en profondeur. Et on impacte 100 % du champ, aucune zone n’est épargnée. Il ne reste plus d’espace préservé, dont les vers de terre pourraient recoloniser les zones atteintes », avance Bertrand Deloste. En cas de pluies abondantes, le roue dans roue est à privilégier. « C’est le premier passage qui est impactant, les suivants ont moins d’effet en profondeur », explique Ewen Gery. La marche en crabe est donc à réserver lorsque le sol est sec. « Le problème, c’est avec les ETA ou en Cuma, avec des calendriers de récolte resserrés où décaler un chantier n’est pas toujours possible », concède Bertrand Deloste.
Un logiciel pour épauler les exploitants
En attendant, les agriculteurs sont de plus en plus conscients du problème. « C’est vers 2010 que le sujet a commencé à vraiment être pris en compte. Avant, c’était un peu vu comme un truc de hippies », assure Bertrand Deloste, d’Agro Transfert. Il y avait urgence : un tiers des exploitations des Hauts-de-France auscultées dans le cadre du projet Sol D’Phy en 2012 présentaient un sol tassé. « Moi, j’ai l’impression qu’on en parle depuis toujours et cela fait 36 ans que je fais ce métier, nuance François Létrillart, exploitant à Crouy dans l’Aisne. Mon père utilisait des roues cages sur le tracteur. J’essaye d’être délicat sur le labour. Il faut que la racine puisse bien pivoter, c’est essentiel ». « Dans bon nombre de Groupements d’intérêt économique et environnemental, les agris sont aujourd’hui autonomes pour diagnostiquer leurs parcelles », met en avant Bertrand Deloste.
Pour épauler les betteraviers, Agro-Transfert, en partenariat avec l’Institut technique de la betterave et Tereos, développe un OAD (Outil d’aide à la décision) baptisé Prévibest pour faire les meilleurs choix possibles, notamment lors de la récolte des betteraves. « Le logiciel est prévu pour 2024, annonce Ewen Gery. Il contient des milliers de cas pré-simulés. Il permet de quantifier et de voir les effets de différents éléments, comme limiter la trémie, rajouter une benne dans la rotation, attendre deux jours de temps sec… L’objectif c’est de limiter la casse. »