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[Point de vue] Pac et guerre commerciale

Pour sauver l’agriculture européenne, la nécessaire réforme du multilatéralisme


TNC le 20/03/2019 à 18:02
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Face aux tensions croissantes exercées sur le secteur agricole par la guerre commerciale entre grandes puissances mondiales – Etats-Unis, Europe, Chine notamment – le think tank Agriculture Stratégies estime qu’il est urgent de « revoir le multilatéralisme ». Dans ce cadre, la réforme de la Pac, qui sera discutée après les élections européennes, devra se traduire par une défense de l’agriculture comme « un intérêt stratégique prioritaire » en Europe, sous peine de voir la sécurité alimentaire française et européenne mise à mal.

Dans une « note de référence », le think tank Agriculture Stratégies défend l’idée de créer un « comité de sécurité alimentaire auprès de l’Onu ». Selon son fondateur Jacques Carles, « l’agriculture n’est pas qu’une question de commerce, c’est une question au cœur de la sécurité et de la stabilité internationale. Cela permettrait de créer les conditions pour lancer de nouvelles coopérations entre Etats et de resituer l’OMC au niveau des autres institutions internationales. »

Cette création s’inscrit, selon le think tank, dans une « indispensable réforme du multilatéralisme », pour « répondre aux tensions croissantes du commerce international et renouveler le multilatéralisme en matière agricole. » « Ce conseil de sécurité alimentaire aurait un rôle de coordination entre les instances actuelles qui travaillent indépendamment des autres sans se consulter. »

Le 25 janvier dernier, l’Union européenne a décidé de saisir l’OMC pour défendre le principe du découplage des aides attaqué par les Américains dans l’affaire des olives espagnoles.

Des olives espagnoles en travers de la gorge des Américains

Comme pour de nombreuses autres productions, les producteurs espagnols d’olives de table bénéficient d’aides découplées de la Pac. « Ces aides découplées, outre le fait qu’elles sont totalement inefficientes en termes de régulation, sont remises en cause par les Etats-Unis : une juridiction américaine a jugé que ces aides, pourtant dans la « boîte verte » de l’OMC, étaient, en fait des subventions déguisées à la production. » Pour rappel, les aides classées dans la « boîte verte » de l’OMC ne sont pas soumises à engagement de réduction de la part des Etats, car elles sont supposées sans effets distorsifs significatifs sur la production ou sur les échanges.

Avec cette affaire, « tout l’édifice de la Pac mis en place depuis 1992 et approfondi en 2003 sur la base du principe de découplage des aides et de la réponse aux signaux de marché est sur le point de s’effondrer », explique Jacques Carles.

De son côté, la Chine « souhaite lier le sujet du dumping dans l’industrie à celui du dumping en agriculture pour défendre sa politique agricole et alimentaire ».

Avec ces exemples témoignant d’une entrée de l’agriculture dans la guerre commerciale, Agriculture Stratégies estime « qu’il y a à la fois une opportunité et un risque pour l’agriculture européenne.  « Cela peut, d’une part, être l’occasion de faire sortir la Pac de l’inefficacité dans laquelle la volonté européenne d’être « le bon élève » de l’OMC l’a conduite. L’UE va, d’autre part, être soumise à une pression internationale qui risque de conduire au sacrifice de notre sécurité alimentaire si l’on ne défend pas l’agriculture à son juste niveau, c’est-à-dire comme un intérêt stratégique prioritaire. »

Autrement dit, l’Europe se serait enfermée dans des règles de l’OMC que les autres puissances agricoles – les Etats-Unis et la Chine en tête – ne respectent plus depuis longtemps. « L’OMC devait être un régulateur tout-terrain. C’est devenu une institution qui ne s’intéresse qu’au commerce. On ne peut pas raisonnablement promouvoir ainsi une concurrence alimentaire planétaire », poursuit Frédéric Courleux, directeur des études d’Agriculture stratégies.

« Changer le logiciel de la Pac » face aux autres puissances agricoles

« L’agriculture devrait davantage être perçue comme un enjeu stratégique » et « la prochaine réforme de la Pac doit être l’occasion de changer le logiciel actuel largement inefficace car basé sur le découplage des aides », poursuit Olivier Allain, vice-président de la région Bretagne et membre du comité d’orientation d’Agriculture Stratégies.

Le think tank en appelle directement à Emmanuel Macron, suite à son discours sur l’Europe prononcé lors de l’inauguration du salon de l’agriculture samedi 23 février. « Tout comme le gouvernement allemand est déjà monté au créneau pour défendre son industrie automobile, il est légitime que le gouvernement français défende sans concession ses intérêts agricoles. Et dans cette perspective, qu’il soit particulièrement vigilant sur le choix du futur commissaire européen à l’agriculture. »

Ce choix constitue la prochaine étape. A l’issue des élections européennes qui auront lieu dimanche 26 mai 2019 – et les jours précédents pour certains pays européens – la composition de la commission européenne sera renouvelée. Le choix d’un commissaire européen à l’agriculture en phase avec une réforme de la Pac ambitieuse sera déterminant face à la défense des intérêts agricoles des autres grandes puissances comme les Etats-Unis et la Chine.

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