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Répartition des marges

Olivier Mevel : « Faisons table rase pour mieux protéger les agriculteurs »


Communication agricole le 30/05/2017 à 07:25
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Consultant en stratégie des filières alimentaires, Olivier Mevel s’est porté candidat pour présider l’observatoire de la formation des prix et des marges. Selon lui, les chiffres actuels ne reflètent absolument pas la réalité de la répartition de la valeur au sein de la chaîne alimentaire. Il défend un changement radical de méthode, mais aussi une révision profonde de la loi de modernisation de l’économie, pour rééquilibrer le rapport de force en faveur des agriculteurs. Le sujet de la répartition des marges au sein des filières sera central lors des Etats généraux de l'alimentation promis par Emmanuel Macron.

« Je me suis porté candidat à la présidence de l’observatoire de la formation des prix et des marges car je suis un enseignant-chercheur en colère. Je constate sur le terrain que l’amont du secteur agroalimentaire est confronté depuis très longtemps à d’énormes difficultés. Je m’aperçois aussi que le modèle théorique, prôné par l’observatoire, n’en rend absolument pas compte.

Pourquoi la méthode utilisée depuis 2010 n’est-elle pas capable de mettre en lumière les problèmes observés dans les filières agricoles étudiées ? Simplement parce que ce n’est pas la bonne. Mes détracteurs disent que mon analyse n’est pas consensuelle. Cependant, à quoi bon chercher le consensus quand la situation est à ce point critique pour les exploitants agricoles et si facile pour les distributeurs ? Prenez le lait demi-écrémé UHT. Pour ce produit comme pour les autres denrées agroalimentaires, s’est développée au fil des décennies l’association industriels-distributeurs, les deux maillons de la chaîne alimentaire à profiter le plus de la situation.

Au sein de cette « association », les deux principales marques de lait UHT disponibles dans les linéaires, Lactel et Candia, commercialisent la brique d’un litre 84 centimes environ. Face à eux se mettent en place de nouvelles démarches, telles que le lait équitable Faire France ou le lait « C’est qui le patron ? ». L’une comme l’autre proposent un lait présenté un peu différemment, vendu 99 centimes d’euros. Mais à l’intérieur de la brique, c’est le même lait ! Comment peuvent-elles atteindre ce prix alors que les deux leaders du secteur sont incapables de dépasser 84 centimes ?

En tous cas, elles sont en train de montrer que la vieille association industriels-GMS est relativement inefficace, car elle n’offre pas aux éleveurs une bonne répartition des marges. Au regard de ce type d’action, les producteurs doivent avoir conscience du chemin qu’ils ont parcouru pour améliorer leurs relations avec les consommateurs. L’intérêt de ces derniers pour les produits locaux ou de proximité est croissant. Ils s’orientent d’ailleurs de plus en plus vers une consommation socialement responsable et soutiennent les initiatives qui valorisent le revenu des agriculteurs. Il faut en profiter et poursuivre les efforts dans ce sens. Plus généralement, les GMS dégagent en moyenne 180 € d’excédent brut d’exploitation pour 1 000 l de lait. Pourquoi l’observatoire accepte-t-il qu’elles déduisent l’ensemble de leurs charges fixes et variables, et fournissent ainsi des chiffres tronqués de marges nettes ? Une brique de lait génère très peu de charges. Pour les distributeurs, c’est de l’or blanc !

Lorsqu’on mesure la rentabilité des supermarchés, on oublie que les enseignes ont démembré la propriété. Chaque magasin doit payer un loyer au propriétaire des murs. Ces charges, qui illustrent le train de vie important des grandes surfaces, viennent artificiellement plomber le résultat net. Il faut au contraire raisonner linéaire par linéaire, en ne prenant en compte que les charges et salaires imputables au rayon produits laitiers et rien d’autre. Il est aberrant de comptabiliser toutes les charges de structure des GMS. Je le répète : les techniques d’évaluation de l’observatoire sont à revoir de fond en comble. Il faut aller chercher les vrais chiffres analytiques des enseignes. L’observatoire doit avoir accès aux comptabilités intermédiaires des linéaires. Si ce n’est pas le cas, il doit en exiger l’accès auprès du ministère de l’agriculture, voire du Parlement.

De plus, la faiblesse de l’observatoire est de ne pas évaluer, filière par filière, le rapport de force entre les acteurs. En effet, les prix ne sont que l’expression de celui-ci si bien que la structure de marché (l’oligopole des GMS) reste le facteur essentiel de leur détermination. 90 % des achats effectués en supermarchés sont réalisés par quatre centrales d’achat. Avec un tel environnement oligopolistique, les grandes surfaces font la pluie et le beau temps sur les prix.

Il faut s’attaquer à cette problématique en réécrivant la loi de modernisation de l’économie (LME). Au cours du précédent quinquennat, quatre lois touchant à des degrés divers à la relation entre les GMS et les industriels ont été votées. Je m’attendais à ce que le gouvernement corrige les excès de la LME, mais pas avec des textes qui ne sont que des pansements sur une jambe de bois. En redonnant aux distributeurs le pouvoir de négocier les prix sans aucune contrepartie, la LME porte en elle les germes de la déflation des produits agroalimentaires et de la crise du monde agricole.

La guerre des prix, qui en découle, va de pair avec une extension mécanique de l’outil commercial en France : des milliers de mètres carrés supplémentaires sont créés chaque année alors même que le pouvoir d’achat des consommateurs n’augmente pas. La rentabilité par mètre carré de magasin baisse continuellement, renforçant à chaque fois la violence des négociations commerciales. Les GMS ne doivent plus être en situation de capter aussi facilement la valeur ajoutée. La loi doit aider les agriculteurs dans ce sens.

La faiblesse de l’observatoire est de ne pas évaluer, filière par filière, le rapport de force entre les acteurs.

Revenons sur notre exemple du lait : les grandes surfaces de l’ouest de la France vendent peu de produits laitiers d’importation. Elles ont fait de grands efforts pour mettre l’origine France dans leurs rayons. Aujourd’hui, vendre du lait étranger ne marche pas dans cette partie du territoire.

Dans ce contexte, pourquoi continuer à adosser le prix du lait aux prix mondiaux, alors que ce produit est devenu non substituable dans la plupart des magasins. Il serait tout à fait envisageable de fixer un prix français pour le marché français. Cessons de rebattre les oreilles des éleveurs avec les prix mondiaux liés aux deux avatars de la production que sont la poudre de lait et le beurre puisque ces derniers n’ont plus aucune raison d’être en dehors des débouchés à l’export. »