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Académie d'Agriculture de France

Les agriculteurs multiplicateurs


Christian SABER, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 24/07/2023 à 09:37

(©Getty Images)

Si les établissements producteurs de semences (privés ou coopératives) commercialisent les semences et sont responsables de leur conformité réglementaire, ceux-ci ne disposent pas des surfaces nécessaires pour la production des semences. Ils passent donc, avec des agriculteurs spécialisés, des contrats de multiplication qui doivent être conformes à un contrat-type homologué. À partir d'exemples concrets, cet article décrit les travaux spécifiques et exigeants réalisés par des milliers d'agriculteurs-multiplicateurs.

Des cultures spécifiques et des cycles de végétation plus longs

Pour certaines espèces (céréales, tournesol, pois, etc.), le cycle de végétation des cultures pour la production de semences est le même que pour produire des grains destinés à la consommation. Mais pour de nombreuses espèces potagères, la production de semences est très différente de celle des produits de consommation : légumes-fruits (aubergine, courge, citrouille, etc.), légumes-feuilles (endive, laitue, persil, etc.), légumes-racines (betteraves, radis, etc.), plantes à fibre (lin, chanvre). C’est également le cas pour toutes les espèces fourragères et à gazon. Les cycles de production de semences sont souvent longs : six mois pour les radis, un an pour les betteraves et les carottes, dix-huit mois pour le persil, trois ans pour la luzerne.

Le choix des parcelles de multiplication

Les agriculteurs choisissent leurs parcelles destinées à la multiplication de semences. Il faut en particulier des parcelles propres et saines, le plus possible indemnes de mauvaises herbes, de maladies et de ravageurs ; les précédents culturaux doivent permettre d’éviter des repousses qui peuvent altérer la pureté variétale. Le cahier des charges impose l’isolement des parcelles pour éviter des mélanges à la récolte. Selon les espèces, les agriculteurs doivent également respecter des distances d’isolement pour éviter les pollutions variétales dues au transport du pollen par les insectes ou le vent. Chaque agriculteur-multiplicateur doit déclarer la localisation de la future parcelle et dispose ensuite d’un outil de cartographie informatisé mis à jour quotidiennement. À titre d’exemple, les distances d’isolement doivent être de 200 m pour les aubergines, 500 m pour les céleris, les cerfeuils, les navets, 1 000 m pour les populations de même type d’oignons, de pois, et 1 500 à 2 000 m pour les parcelles de multiplication de populations de carottes de types différents ou hybrides.

Des zones protégées pour éviter des contaminations

Pour certaines espèces, la fécondation croisée peut entraîner des croisements indésirables jusqu’à 20 kilomètres C’est le cas des betteraves du genre beta : poirées, betteraves potagères, sucrières et fourragères, qui peuvent s’hybrider entre elles. Des zones protégées, élaborées par cartographie, permettent d’isoler les zones de multiplication de semences. De même, des zones protégées sont utilisées pour un isolement sanitaire et ainsi éviter que les productions de semences soient contaminées. C’est le cas pour les productions de haricots menacées par des maladies bactériennes (appelées graisse) qui donnent des tâches huileuses et des nécroses sur les gousses.

L’implantation et l’irrigation des cultures

L’implantation des cultures de multiplication doit permettre une levée rapide et homogène. Ainsi, les semis de cultures de semences de luzerne sont souvent réalisés sous couvert de tournesol, à une profondeur bien régulière et à une date permettant d’éviter les périodes de sécheresse.

L’irrigation permet de sécuriser l’implantation et le rendement grainier. C’est le cas en particulier pour la production de semences de colza, de maïs, de betteraves et pour les espèces potagères. Les quantités d’eau fournies sont relativement faibles, mais apportées à des stades clés de la culture : implantation, floraison, formation et remplissage des grains. La production de semences de carotte est souvent prise en exemple, car l’irrigation est une obligation dans le contrat de multiplication avec l’établissement producteur. Des actions techniques permettent de déterminer au plus juste la conduite de l’irrigation selon les espèces : intérêt des systèmes de goutte à goutte ou d’aspersion, utilisation d’outils de pilotage. En France, 37 % des surfaces totales en production de semences sont irriguées, mais il s’agit d’espèces importantes en valeur car elles représentent 80 % du chiffre d’affaires de la filière semences (source Gnis 2014).

La maîtrise des adventices

Pour toutes les cultures, les adventices sont de dangereuses concurrentes pour l’eau, la lumière et les nutriments ; aussi, pour produire des semences, les adventices doivent être totalement maîtrisées. En effet, outre les effets négatifs mentionnés ci-dessus, leurs graines peuvent contaminer la production et l’ensemble du lot de semences, ce qui augmente les taux de déchets lors du triage ; de plus, les graines de certaines adventices ne peuvent pas être éliminées d’un lot de semence, qui sera donc refusé à l’agriculteur. Par exemple, les graines de rumex ne peuvent pas être séparées dans un lot de semence de luzerne. Enfin, certaines adventices peuvent entraîner des pollutions polliniques : c’est le cas des ravenelles présentes dans une parcelle de production de semences de radis.

La pollinisation

  • Par les insectes : La réussite de la pollinisation détermine le rendement grainier. Certaines espèces sont principalement pollinisées par les insectes (entomogamie) ; ainsi, pour les semences oléagineuses, les agriculteurs-multiplicateurs font appel à des apiculteurs-pollinisateurs, après s’être assurés que les stades de floraison sont simultanés entre deux lignées sur une même parcelle. Il faut déterminer le nombre de colonies par hectare, la disposition des ruches, l’isolement par rapport à d’autres cultures pour éviter des pollinisations indésirables, le calendrier d’apport et de retrait des ruches. La relation des multiplicateurs et des apiculteurs passe par la plate-forme BeeWapi gérée par l’institut de l’abeille (ITSAP) et l’interprofession semence (SEMAE, UFS, ANAMSO). Des ruches sont également utilisées pour d’autres espèces.
  • Par le vent : Pour d’autres espèces, c’est l’action du vent qui assure la pollinisation (anémogamie). Toutefois, le pollen de ces plantes est fin et léger, et peut donc entraîner des croisements indésirables. L’anémogamie est également utilisée de façon contrôlée. Ainsi, pour produire des variétés hybrides de maïs, les agriculteurs-multiplicateurs sèment en alternance des rangs de la variété qui va servir de mâle avec la variété qui va jouer le rôle de femelle ; le pollen contenu dans la panicule mâle va aller jusqu’à la plante femelle. Le plus souvent, quatre rangs femelles sont encadrés par trois rangs mâles. Pour éviter les autofécondations, les agriculteurs doivent castrer les panicules des plantes femelles avant l’apparition du pollen. Pour la réussite de la fécondation, les agriculteurs doivent veiller à la bonne concordance de maturité sexuelle entre les deux variétés parentales.

La récolte et le séchage

La date de récolte est déterminée selon la maturité et le taux d’humidité des grains récoltés. L’agriculteur-multiplicateur doit tenir compte des spécificités de chaque espèce, dont : risque d’égrenage, taille, poids et fragilité de la graine, étalement de la maturité. Les modes de récolte dépendent de l’espèce, certaines se faisant en direct (céréales, protéagineux, graminées et légumineuses fourragères). Pour les protéagineux, les semences sont sensibles à la casse, aussi le réglage des moissonneuses-batteuses et le respect du taux d’humidité à la récolte sont essentiels. Après récolte, des opérations de ventilation et de séchage peuvent être nécessaires pour ramener le lot de semences à 15 % d’humidité maximum. Les espèces sensibles à l’égrenage sont fauchées à plat, puis reprises par une moissonneuse-batteuse. D’autres sont fauchées et andainées (graminées et légumineuses fourragères, potagères). La récolte des cucurbitacées est très spécifique : il faut extraire les graines par concassage des fruits à l’aide d’un broyeur.

Une exigence de propreté à toutes les étapes

Nicolas Pottié, agriculteur-multiplicateur de blé et de pois protéagineux dans la Somme, en témoigne ainsi : « Il faut être drastique sur la propreté. Dès les semis, le semoir doit être ultra-propre. Au début de la récolte, les machines doivent être impeccables afin qu’aucun épi ne reste à l’intérieur. Plusieurs vidanges de trémie sont conseillées, ainsi que le nettoyage des bennes de transport. De même, pour le stockage des semences, chaque travée doit être nettoyée de fond en comble et ne recevoir qu’une variété » . De plus, chez l’agriculteur-multiplicateur, comme chez l’établissement producteur, chaque récolte de parcelle est stockée de manière isolée et identifiée pour garantir la traçabilité des variétés.

Une production sous contrat

Des règlements techniques officiels encadrent la multiplication des semences et plants, et précisent les règles de qualité : origine des semences-mère, isolement de la parcelle, état sanitaire de la culture, épurations, conditions de récolte. Les contrats des agriculteurs-multiplicateurs avec des établissements producteurs déterminent les conditions de rémunération, d’assurance et de responsabilité, le suivi et le contrôle de la culture, les normes maximales d’impuretés, le taux d’humidité.

18 000 agriculteurs-multiplicateurs

En 2022, 113 espèces ont été multipliées en France et, parmi elles, 6 813 variétés de grandes cultures et fourragères. Chaque année, les agriculteurs-multiplicateurs produisent de nouvelles variétés porteuses de progrès génétique. Environ 6 500 agriculteurs multiplient des semences de céréales, 4 400 des semences fourragères, 4 000 des semences de maïs et sorgho, 3 450 des semences de tournesol et colza, 2 530 des semences potagères, 1 300 des semences de lin, 1 050 des semences de betteraves et 780 des plants de pomme de terre (moyenne 2017-2021). Cela représente au total 18 000 agriculteurs, qui peuvent avoir des contrats de multiplication pour plusieurs variétés ou des espèces différentes. Au total, en France, les surfaces consacrées à la multiplication de semences et plants occupent environ 400 000 hectares.

Académie d’Agriculture de France (www.academie-agriculture.fr)

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