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Académie d'Agriculture de France

Le monde ne manque pas de céréales, mais les prix sont fort élevés


André NEVEU, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 10/01/2023 à 12:19

Ces dernières années, les récoltes mondiales de céréales ont été d'un excellent niveau. Le marché international a donc pu être correctement approvisionné. Mais les nombreux événements sanitaires, économiques et politiques ont eu comme conséquence une très forte hausse des prix de marché. Celle-ci risque de durer. On peut alors imaginer une reprise en main des marchés domestiques par certains gouvernements.

1 – L’offre et la demande de céréales restent équilibrées

Depuis le début des années 2010, la production de céréales dans le monde a augmenté de 23 %, soit deux fois plus que la population. Et les dernières récoltes confortent ce résultat. Pour 2022, la production mondiale devrait être à peine inférieure à celles des années précédentes.

Production mondiale de céréales (hors riz et fèves de soja)

Si l’on ajoute le riz (515 millions de tonnes) et le soja (352 millions de tonnes), la récolte totale de grains s’élevait en 2021 à 3 158 millions de tonnes.
Il n’y a donc pas à avoir de crainte sur la satisfaction des besoins globaux. Toutefois, comme toujours, certains pays ont dû faire face à de mauvaises récoltes qui, fort heureusement, ont été compensées par de bonnes récoltes ailleurs.

2 – Des prix de marché exceptionnellement élevés

Après une tendance baissière au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le prix des céréales s’est redressé (avec même une flambée en 2007-2008). Mais les évolutions récentes sont plus inquiétantes et sans doute durables : on est en effet passé de moins de 200 € par tonne de blé au début de l’année 2000, à plus de 300 € début 2022, et même à 400 € au printemps.
Cette augmentation des prix a débuté avec la désorganisation des transports maritimes au moment de la pandémie de Covid-19 ; elle s’est poursuivie en 2021 avec la reprise économique accélérée, et a explosé dès le début de la guerre en Ukraine, en lien avec l’inflation générale. L’importance des pays de la mer Noire dans le commerce international des céréales (plus de 20 %) a évidemment contribué à amplifier cette hausse.

Prix du blé tendre rendu Rouen (€ par tonne)

Il n’est pas exclu que la spéculation ait joué aussi un rôle dans ces mouvements de prix. Mais les importations chinoises accroissent également les tensions sur les prix, puisque la Chine est contrainte d’acheter de plus en plus de céréales sur un marché mondial qui reste relativement modeste au regard de la production totale : moins de 20 % pour le blé, et même seulement 6 % pour le riz.
Ces niveaux de prix sont particulièrement angoissants pour les pays structurellement déficitaires, et plus généralement pour les pays à bas revenus.

3 – Beaucoup de pays importateurs mais bien peu d’exportateurs

Le monde des grands pays exportateurs de céréales est en réalité un petit club très fermé : ses principaux membres en sont l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada), les pays de la Mer Noire (Russie, Ukraine, Kazakhstan), deux pays de l’hémisphère sud (Australie et Argentine) et la France. On peut y ajouter le Brésil, importateur de blé mais exportateur de maïs et surtout de soja.
Ce sont ces quelques pays qui vont approvisionner les marchés internationaux et, en quelque sorte, nourrir le reste du monde.

Pays exportateurs de céréales (année 2020). Unité : millions de tonnes

4 – Vers une redistribution de l’utilisation des céréales

L’augmentation des prix des céréales, si elle se poursuit, devrait conduire à des modifications significatives dans l’utilisation des céréales dans le monde. En effet, actuellement, si on intègre la production de soja, c’est seulement 41 % de la production de grains qui est directement affectée à l’alimentation humaine, contre 43 % destinés au bétail.

Affectation de la production mondiale de grains (année 2021)

Il est évident qu’une forte augmentation du prix des céréales aura comme conséquence une augmentation des prix de la viande et du lait, puisque les animaux sont souvent nourris avec des céréales et des tourteaux de soja. Les consommateurs seront donc contraints à des arbitrages budgétaires difficiles ; de ce fait, les demandes de viande, et peut-être de lait, devraient baisser. Une fraction des céréales aujourd’hui destinées à la nourriture du cheptel pourrait alors logiquement se reporter sur le blé, donc sur l’alimentation humaine ; il est évidemment difficile de savoir dans quelle proportion.
Dans les pays traditionnellement gros consommateurs de viande, une partie s’en détourne pour des raisons sanitaires. Même si cette tendance reste limitée, elle peut elle aussi contribuer à la diminution de la consommation de produits carnés.
Enfin, la production d’éthanol utilise près de 200 millions de tonnes de maïs chaque année. L’intérêt de cette production est fonction des rapports entre le prix du pétrole et celui des céréales. Il n’est pas exclu que des arbitrages conduisent les industriels à revoir leur position et à réduire leurs activités, donc leurs prélèvements sur la récolte de maïs.

Académie d’Agriculture de France

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