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[Reportage] Deux-Sèvres

Le « coup de massue » des éleveurs mis à la diète par l’UE


AFP le 06/05/2019 à 06:50

« C'est un coup de massue ! » : Alain Chabauty, comme beaucoup d'éleveurs, est rayé depuis janvier de la carte des zones agricoles défavorisées qui lui donnait droit à des aides substantielles de l'Union européenne.

Dans les Deux-Sèvres, un des départements les plus touchés par le remodelage de la carte européenne des aides aux éleveurs, ce couperet de Bruxelles n’a épargné que « 16 communes sur les 181 qui en bénéficiaient jusqu’ici, au titre des zones défavorisées simples (ZDS) », constate Alain Chabauty, 58 ans, président de la FDSEA 79.

Éleveur depuis 1980 et fraîchement réélu à la tête du syndicat agricole, Alain est plus que jamais attentif « au moral des collègues » et aux risques de suicides. « Pas plus tard qu’il y a quelques jours, raconte-t-il, on a reçu une alerte qu’il a fallu gérer dans l’urgence, à titre préventif ».

Dans les Deux-Sèvres, les nouveaux exclus des ZDS toucheront « une aide dégressive de 80 % en 2019 et de 40 % en 2020, puis plus rien en 2021, soit une perte annuelle moyenne de 8 000 euros par exploitant, ou l’équivalent d’au moins un bon demi-salaire », précise le syndicaliste. Un coup dur « plus ou moins bien vécu par des éleveurs partagés entre un profond découragement et l’envie de jeter l’éponge », et « celle de rebondir » coûte que coûte, résume Alain Chabauty.

Lui a choisi le rebond. Son exploitation de 130 hectares, La Piranderie, s’étend sur un coteau vallonné de terre rocailleuse où « rien d’autre que l’herbe ne pousse ». Instruits par les « aléas » de la Pac (politique agricole commune), le syndicaliste et son fils Romain ont eu en 2010 la bonne idée d’anticiper la fin des ZDS et de restructurer l’exploitation. « On a réduit le cheptel bovin pour développer la caille », une activité plus rentable et porteuse de nouveaux marchés « dans le nord de l’Europe, au Japon, au Qatar et à Dubaï ». Il ne leur a pas fallu plus de trois semaines pour obtenir le soutien de la banque et investir 300 000 euros dans un nouveau bâtiment de 1 200 m2 qui abrite aujourd’hui 90 000 cailles.

« Au début, je n’étais pas un amoureux de la volaille, mais quand on regarde les chiffres… notre chiffre d’affaires c’est 560 000 euros, trois quarts volailles et un quart bovins ».

« Démoralisé »

À Chiché, à 15 kilomètres de La Piranderie, chez les Jaulin, c’est une toute autre histoire. Jean-Luc, le père, 54 ans, et Alban, le fils, 27 ans, sont associés et gèrent sur 185 hectares un cheptel bovin de 313 têtes. « La fin des ZDS, on ne s’y attendait pas du tout. Pour nous, c’est 16 000 euros par an en moins », explique Alban. « C’est dur à avaler. On a fait le plan prévisionnel, investi et calé les annuités en fonction des aides et on nous les supprime ». « La Pac revoit les règles du jeu tous les cinq ans mais l’investissement pour agrandir le cheptel, c’est 300 000 euros à rembourser sur 15 ans ».

Alban, exploitant depuis 2016, est célibataire et vit chez ses parents. « Si j’étais chargé de famille, je ne pourrais pas continuer ». Il est « démoralisé » : « entre la fin des ZDS et l’agri-bashing des associations (de défense des animaux) comme L214 sur les réseaux sociaux, c’est lourd. À la moindre pollution, on est montré du doigt, alors le moral en prend un coup. »

Mais pour Alban, pas question de se diversifier et de renier « le savoir-faire d’au moins quatre générations d’éleveurs ». « On ne va pas faire ce qu’on n’aime pas. On est spécialistes bovins, on le fait bien, alors on ne va pas s’éparpiller ».

L’éleveur, adhérent au syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA), voit de plus en plus de stagiaires renoncer avant même de démarrer une exploitation. « On a toujours l’impression d’être un peu perfusés, et en même temps d’être abandonnés par l’Europe qui change les contraintes d’un pays à l’autre ».

Le 26 mai, Alban ira voter malgré tout, assure-t-il : « parce que quand on voit le Brexit on se dit qu’on a quand même besoin d’Europe ».