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Académie d'agriculture de France

La prolifération des normes nuit-elle à l’innovation ?


Claude DEBRU, Membre de l'Académie d'Agriculture de France le 12/11/2019 à 06:29
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(©AAF)

Nécessitée par l'économie marchande, développée par la mondialisation actuelle, la prolifération des normes est devenue une question récurrente. Les normes, qui pénètrent tous les secteurs de l'activité humaine ou presque, sont-elles des freins à l'innovation ?

Avec la mondialisation de la production et des échanges, les normes et standards prolifèrent, suscitant diverses craintes. En effet, une fois établies, les normes sont difficiles à modifier. Dans certains secteurs, agricoles et industriels, elles sont des véritables freins à l’innovation en recherche, développement, modes de production et société.

Que sont normes et standards ?

Normes et standards ont en commun une connotation d’extension et de mesure.
Normes : règles abstraites élaborées par des autorités publiques compétentes.
Standards : modèles concrets en vue de normaliser la fabrication (donc du domaine privé).

Les origines des normes et standards remontent aux sociétés primitives. Aujourd’hui, la standardisation-normalisation des produits agro-alimentaires est un phénomène très général : tout produit doit être calibré, uniformisé, et cela autant que possible s’agissant de productions biologiques. Les exigences et pratiques des circuits de consommation gouvernés par le marché et la concurrence en sont sans doute responsables.

Les normes et standards, qui créent de la confiance dans les échanges, se sont encore développés avec la mondialisation du commerce. Cependant, cette situation a des effets paradoxaux dans l’équilibre entre rigidité et souplesse, sécurité et risque. La question qui est abordée dans cette note est celle de la capacité de changer les normes, capacité désignée philosophiquement par le terme de normativité.

Prolifération ?

On observe couramment, parfois pour la dénoncer, la prolifération des normes qui paralyserait l’activité économique et fausserait la concurrence. Dans le contexte de l’agriculture, Lawrence Busch a défini les normes comme « des recettes à partir desquelles nous formons des réalités ». C’est ainsi que l’accroissement de la productivité agricole a longtemps inspiré la fabrication des normes et standards en agriculture et agronomie. Cependant, ce processus a eu pour effet de privilégier un nombre limité d’espèces végétales (riz, blé, maïs) et de les mondialiser.

La prolifération des normes s’est accentuée avec le développement de la grande distribution imposant ses exigences propres. La production industrielle consacre tout autant le règne des normes et standards, par la nécessité économique des longues séries. Notons pourtant que la nouvelle industrie, pénétrée d’informatique et déjà d’intelligence artificielle, doit pouvoir créer à la demande des produits plus diversifiés.

La normalisation-standardisation de la société elle-même – résultat de la dynamique démographique et sociale qui nécessite l’utilisation de l’informatique à tous niveaux, ne serait-ce qu’en vue de la gestion administrative – freine-t-elle l’innovation sociale ? C’est un jeu complexe de forces multiples qui produit une certaine coexistence de l’ancien et du nouveau.

Les normes sont-elles des freins à l’innovation ? Cela dépend des pays, de leurs cultures, et des activités en question. Le témoignage d’un industriel cimentier, Bertrand Collomb, le montre. Collomb observe que « la façon dont les normes peuvent évoluer et la force du frein à l’innovation qu’elles représentent dépendent beaucoup de l’organisation et du type d’autorité responsable des normes ». Tel pays est plus attaché aux façons traditionnelles, tel autre est plus apte par ses structures de transfert entre sciences et industrie et à sa culture d’ingénierie à favoriser l’innovation. Il existe des industries plus conservatrices que d’autres (celle du bâtiment est un exemple frappant de conservatisme partout). Or le dynamisme de l’économie libérale est fondé sur l’innovation. L’injonction d’innover est partout, mais se heurte parfois à la force des habitudes dans certains secteurs et à la nécessité du retour sur investissement.

Il est vrai que l’innovation a un coût et comporte des risques : les risques énormes encourus par l’économie mondiale, en raison d’innovations mal maîtrisées dans l’industrie financière, sont encore dans tous les esprits. Il paraît donc d’autant plus nécessaire de construire des normes, ce qui nécessite d’évaluer des risques, et donc d’entrer dans des raisonnements probabilistes.

Nous avons besoin des normes

La prolifération des normes est une expression de la créativité normative humaine. Les sociétés humaines, en se développant selon le moteur extrêmement puissant des sciences et des techniques, créent sans cesse de nouveaux objets, et donc de nouvelles normes, qui engendrent une complexité normative croissante, facteur à la fois de diminution de la force normative, d’insécurité juridique, de flou, mais aussi d’évolutions et d’améliorations.

Le problème posé par les normes et standards est celui de la difficulté de savoir changer les normes, processus pourtant vital. Entre la nécessité de promulguer des normes pour toutes les activités humaines ou presque et la difficulté de les faire évoluer, une considérable question d’orientation se pose.

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