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FORETS

La gestion des forêts mondiales et ses interactions avec le changement climatique


AAF le 26/08/2016 à 12:00
académie d'agriculture de france

Les forêts sont-elles une cause d’accélération du changement climatique ou contribuent-elles au contraire à ralentir et atténuer son évolution ? Quel est l’impact prévisible de ce changement sur les forêts en considérant la diversité liée à leur vaste répartition géographique ? Comment les forêts peuvent-elles à la fois le contrer et le subir ? Nous partons ici de constats mondiaux sur leur situation face à ce changement, pour nous interroger ensuite sur les conséquences à en tirer pour leur gestion.

Les forêts représentent des enjeux majeurs pour la planète et son climat. Avec 4 milliards d’ha, elles couvrent 31% des surfaces terrestres du globe. Elles comptent parmi les écosystèmes les plus riches en espèces et en diversité génétique. Elles sont globalement l’objet d’une gestion peu intensive, très majoritairement sans intrants artificiels. Leurs écosystèmes restent dominés par les processus naturels, avec toutefois des divergences selon le type de renouvellement ou de création des peuplements et le degré d’anthropisation et d’exploitation. Les ressources forestières alimentent un secteur industriel structuré qui emploie 13 millions de personnes dans le monde, cependant que le secteur informel en emploie près de 40 millions. Selon la FAO, de 1,2 à 1,4 milliard de personnes dépendent des forêts pour leurs besoins en nourriture, fourrage, combustibles. Au-delà de la fonction de production de biens, les forêts sont à l’origine d’une large palette de services écologiques contribuant au bien-être humain.
Dans les discussions sur le changement climatique, elles occupent une place importante. Mais leur statut y est complexe. Les déforestations tropicales se poursuivent à un rythme élevé et sont responsables d’une fraction significative des émissions de gaz à effet de serre. Parallèlement, le potentiel forestier de séquestration de gaz carbonique (CO2) contribue à l’atténuation du changement climatique mais pourrait se réduire à l’avenir sous ses effets, qui menacent aussi l’intégrité des forêts. En outre, une exploitation accrue de biomasse ligneuse offre la possibilité d’éviter des émissions de gaz à effet de serre, en substituant une ressource renouvelable à des matériaux et énergies consommant du carbone fossile.

DES SOURCES ET PUITS DE CO2 EN ÉVOLUTION

Les écosystèmes forestiers contiennent 60 à 75% du carbone de la biomasse végétale continentale, 40 à 53% du carbone de la biosphère continentale totale. Grossièrement, cela représente 860 GtC (biomasse vivante et morte, matière organique des sols), soit l’équivalent du carbone et du CO2 atmosphériques. Les évaluations par la FAO des ressources forestières mondiales, sous forme d’inventaires, permettent d’estimer l’évolution des surfaces et des stocks de carbone à l’échelle des grandes régions forestières. Les forêts accusent une diminution de près de 130 millions d’ha depuis 25 ans (-3%). La vitesse de déforestation diminue, mais le phénomène reste important, surtout pour les forêts naturelles tropicales.
Les émissions nettes de CO2 liées à la déforestation ainsi qu’à la dégradation des forêts, mais intégrant l’accumulation nette de carbone consécutive aux perturbations, ont été évaluées par la FAO à 2,9 GtCO2eq (équivalent CO2 du carbone) par an pour 2011-2015 soit 8% environ des émissions de CO2 liées à l’utilisation de combustibles fossiles. Les évaluations montrent en outre que l’accumulation de carbone par l’ensemble des forêts non impactées par la déforestation dégradation notamment les forêts tempérées et boréales dont les surfaces s’étendent par des processus naturels ou par plantation tendent à compenser ces émissions nettes. Des progrès sont nécessaires pour préciser ces évaluations, notamment pour les forêts tropicales non perturbées qui accumulent du carbone, et pour lesquelles les inventaires FAO ne sont pas satisfaisants. Globalement les forêts fonctionneraient actuellement comme un puits de carbone.
La vitesse du changement climatique dans le futur sera sensible à l’effet de rétroaction des écosystèmes forestiers sur la concentration atmosphérique en CO2. Le basculement des forêts amazoniennes et des forêts boréales d’un rôle de puits de carbone vers celui de source de carbone est à considérer avec attention.

DES IMPACTS AVÉRÉS, DES PRÉVISIONS INCERTAINES

La productivité des forêts tempérées européennes s’est globalement accrue au cours des dernières décennies, du fait de l’augmentation de la concentration atmosphérique en CO2, de l’effet fertilisant des dépôts azotés, de polluants émis dans l’atmosphère, et du réchauffement qui a induit un allongement de la saison de croissance. Cependant les simulations effectuées à l’aide de modèles prédictifs montrent que, dans l’avenir, les effets adverses prédomineraient, du fait des températures élevées et des sécheresses, ainsi que de l’augmentation des concentrations troposphériques en ozone. Des diminutions locales de productivité attribuées à des dépérissements, sont déjà notées à travers les grands biomes forestiers, y compris les forêts boréales. Des événements climatiques extrêmes affectent les forêts à court terme. La répétition de sécheresses intenses a entraîné une mortalité des arbres, et un recul associé de certaines forêts, notamment dans le sud de l’Europe. Plusieurs études font état d’une augmentation des incendies de forêt dans diverses régions du monde (fréquence, durée, surface brûlée). C’est le cas notamment pour la zone méditerranéenne, mais aussi de régions de la forêt boréale, en Amérique du Nord ou en Russie.
L’évolution à venir du climat devrait conduire à une modification de l’aire de répartition potentielle d’espèces d’arbres. Certaines régions vont devenir favorables à l’installation d’essences non présentes initialement ou au contraire moins adaptées à d’autres essences présentes historiquement, favorisant des dépérissements forestiers et l’élimination locale d’espèces. On peut chercher à quantifier ces évolutions en utilisant des modèles de végétation. Les arbres sont des organismes à longue durée de vie. Une grande partie des décisions forestières courantes doivent anticiper le changement climatique de la fin du XXIe siècle. L’incertitude sur les conditions auxquelles la forêt devra faire face est, pour les décideurs, une contrainte énorme que la recherche a encore peu réduite.

L’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE, UN ENJEU ACTUEL

L’adaptation au changement climatique revêt différentes formes. Spontanée et fondée sur le fonctionnement des écosystèmes, elle limite ses impacts a priori. Cependant, la vitesse à laquelle les changements se produisent est, dans bien des cas, plus élevée que celle à laquelle les écosystèmes réagissent. Le fonctionnement des écosystèmes forestiers doit être considéré dans une perspective dynamique où la question du temps – célérité des changements et temps de réponse des forêts est primordiale. De plus, de nombreuses incertitudes existent concernant le changement lui-même, les réponses biologiques à des conditions inédites, le comportement d’un écosystème complexe, ou l’impact à moyen terme des mesures adaptatives. Aussi le principal enjeu est-il de guider la gestion selon ses impacts probables sur les trajectoires du système, et de gérer les transitions, plutôt que de chercher à figer un idéal à moyen ou long-terme. Il existe un lien constitutif entre le degré d’anthropisation des forêts et la nature des adaptations envisagées :
        En forêt primaire (32% des surfaces forestières mondiales), sans activité humaine visible, seuls les processus écologiques et évolutifs naturels interviennent. C’est pourquoi il faut les surveiller et analyser leurs processus de résilience et d’adaptation, ce doit être un thème fort de recherche.
        En forêt semi-naturelle (61% des surfaces forestières mondiales), où la régénération reste très majoritairement naturelle, des sylvicultures d’intensification contrastée sont appliquées suivant les objectifs prioritaires de la gestion : conservation et protection des milieux et espèces (par exemple forêts méditerranéennes ou de montagne) ; prélèvements individuels d’arbres de qualité dans des peuplements hétérogènes à mélanges d’espèces ; sylviculture semi-intensive de peuplements homogènes avec une ou plusieurs espèces sociales dominantes (par exemple les futaies de plaine en France). Des options souples d’adaptation peuvent être développées : éclaircies permettant de réduire la densité des peuplements et donc les contraintes hydriques ; corridors pour permettre la migration des espèces ; transfert de graines lors des phases de régénération ; changements progressifs d’espèces localement, …etc.
       En forêts plantées (7% des surfaces forestières mondiales en 2015 contre 4,5% en 1990), dans lesquelles les espèces sont indigène ou exotiques, la production est l’objectif principal dans 75% des cas et couvre de l’ordre de 40% des besoins mondiaux en bois ronds industriels. Dans les modalités les plus intensives, le modèle « ligniculture » (près de 20 % des plantations) vise une production de masse standardisée basée sur des cycles de production courts, le choix d’espèces ou variétés productives génétiquement améliorées, la fertilisation, …etc. On se rapproche ici des conditions de l’agriculture. Des options actives d’adaptation peuvent être mises en œuvre, notamment à travers des pratiques appropriées, ou le choix d’espèces ou écotypes adaptés aux nouvelles conditions, d’autant plus facilement que les révolutions sont courtes.
Dans les forêts primaires et semi naturelles, les essences sélectionnées doivent pouvoir supporter à la fois les conditions présentes et les conditions futures, ce qui restreint la palette habituelle des choix. Cette constatation appelle trois réactions principales : raccourcir les cycles pour réduire les risques tout en conservant la palette ; identifier de nouvelles essences, provenances, ou variétés améliorées pour enrichir la palette ; utiliser au mieux les possibilités de la palette. La sylviculture appliquée aux essences ou mélanges d’essences peut ensuite être adaptée au niveau de la mise en place des peuplements, de leur structure et de leur densité comme de leur répartition spatiale.

DES MESURES EN CASCADE POUR ATTÉNUER LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

C’est la variation de l’énorme stock de carbone des écosystèmes forestiers qui interagit avec la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère et joue un rôle principal sur le changement climatique, comparativement aux autres facteurs de forçage climatiques liés au cycle de l’eau (évapotranspiration), à l’énergie (albédo), ou à d’autres gaz à effet de serre (méthane, protoxyde d’azote). La déforestation, mais aussi des perturbations comme les incendies et la dégradation des forêts, aboutissent à l’émission de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère. Un axe important des actions d’atténuation s’attache à réduire ces émissions. Renforcées par des considérations climatiques, les politiques de lutte contre la déforestation et la dégradation favorisent des actions de développement local fondées sur des outils réglementaires et incitatifs (dispositif REDD+) ; elles ont parfois à éviter les effets d’autres politiques incitatives, à combattre les déterminants extérieurs aux zones concernées (mainmise sur les terres résultant de demandes extérieures au secteur forestier).
La contribution du secteur forêt-bois à l’atténuation du changement climatique implique deux grands types de processus ou facteurs : la forêt est le siège d’une séquestration nette de carbone qui alimente les stocks de biomasse aérienne et souterraine, compris la matière organique du sol ; les activités du bois induisent une variation de stocks dans les produits en bois et surtout évitent des émissions de carbone fossile aussi bien lorsque le bois est utilisé comme matériau (substitution matériau) qu’à titre énergétique (substitution énergie). L’exploitation forestière approvisionne les activités du bois. A court terme, elle réduit le puits de carbone de la biomasse vivante. A moyen et long termes elle stimule la séquestration nette de carbone en soutenant la croissance forestière et en limitant les risques et la mortalité des arbres. Ces différents processus restent trop souvent considérés de façon séparée. Deux modalités d’action ont jusque-là été privilégiées :
          une comptabilité de la séquestration de carbone en forêt s’est développée dans le cadre de la convention “climat” et de son protocole de Kyoto. Elle a souvent fait l’objet d’une interprétation limitée à la période actuelle, et au strict périmètre forestier (prélèvement réduit de bois en forêt), sans considérations des inconvénients qui en résultent : pour les activités du bois, et pour la substitution et le bilan carbone global à moyen et long terme de la filière forêt-bois ;
          la bioénergie s’est développée sur la base de la neutralité carbone accordée à ses émissions pour éviter des doubles comptes après avoir considéré que le carbone de la biomasse repart vers l’atmosphère dès la récolte en forêt, donc en ignorant la capacité d’atténuation par substitution matériau.
Or, la substitution matériau a vraisemblablement, selon l’Ademe, une capacité d’atténuation équivalente, voire supérieure à celle de la bioénergie, pouvant être augmentée à la faveur de la valorisation des coproduits et d’un recyclage ou d’une récupération des produits, y compris pour une utilisation énergétique en fin de vie (stratégie “en cascade”).
Les règles internationales actuelles de comptabilisation du carbone séquestré ou évité par la filière forêt-bois sont insuffisantes et ne permettent pas véritablement de fonder une politique efficace d’atténuation du changement climatique. Il est temps de le reconnaître pour proposer à partir d’elles, ou en parallèle, une méthode globale d’évaluation du bilan carbone de la forêt et du bois. Les analyses réalisées dans des cadres temporels et géographiques précis restent rares et sont pourtant nécessaires. Ils permettent de prendre en compte le niveau effectif des stocks et puits forestiers initiaux de carbone, leur dynamique, les risques qui pèsent sur eux, les conditions dans lesquelles la ressource est mobilisée et utilisée, le cycle de vie des produits, et le bilan carbone qui en résulte au cours du temps dans différents scénarios. En France, les études se poursuivent au niveau forestier, en considérant différents niveaux d’exploitation des forêts et pour préciser les facteurs de substitution à utiliser.

VERS UNE GESTION FORESTIÈRE INTÉGRÉE RÉPONDANT AUX ENJEUX CLIMATIQUES

Le changement climatique est susceptible d’agir fortement sur les forêts dont il modifie le fonctionnement et les services rendus à la société. Inversement, les interventions humaines en forêt pèsent sur lui et occupent pour cela une place importante dans les négociations internationales. Elles comprennent la déforestation et la dégradation des forêts. Mais ces interventions s’expriment de manière plus positive à travers la gestion durable des forêts, qui est confrontée à un triple défi : satisfaire les attentes de la société en services écosystémiques tout en luttant contre l’effet de serre et en réduisant les impacts du réchauffement planétaire. Atténuation et adaptation s’avèrent indéfectiblement liées dans le cadre du développement durable. Dans ce contexte, faire face au changement climatique consiste finalement à évaluer toute option de gestion sous les deux angles complémentaires de l’atténuation et de l’adaptation. L’accord obtenu lors de la COP21 à Paris en décembre 2015 constitue une bonne base pour atteindre ces objectifs. La gestion des forêts agit sur le changement climatique à divers horizons de temps et de multiples façons : elle peut l’atténuer ou le renforcer, en réduire ou aggraver les impacts, de manière très différente à court, moyen ou long terme. L’évaluation à réaliser est donc complexe et empreinte d’incertitudes. Ces dernières, ne peuvent être totalement réduites et doivent donc être gérées. La connaissance est encore lacunaire dans ce domaine. Des avancées majeure ne seront obtenues qu’en couplant recherches en sciences de la nature, technologies, et études sociétales. Se pose notamment le problème de l’acceptabilité sociale des changements induits par le climat ou décidés pour relever les défis lancés à la foresterie. Il concerne les gestionnaires forestiers eux-mêmes, les populations locales et, plus largement, l’ensemble de la société.