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Salons agricoles

La foire de Beaucroissant, 800 ans, pas une ride mais quelques soucis


AFP le 14/09/2019 à 11:12

On l'appelle simplement « la Beaucroissant », avec le respect dû à une aïeule. La foire du village éponyme, en Isère, tient sa 800e édition, reflet de sa vivacité et miroir des difficultés du monde agricole.

« C’est la plus ancienne foire de France », s’enorgueillit Isabelle Delahaye, régisseuse de l’événement. Une des plus grandes aussi avec ses 1 500 exposants venus de 70 départements, plus d’un millier de bêtes, son concours de vaches Charolaises, ses marchés aux bestiaux, au matériel agricole… De vendredi à dimanche, ce petit village de 1 600 âmes, au carrefour entre Lyon, Grenoble et Valence, va accueillir près « d’un million de visiteurs », affirme Isabelle Delahaye. Même la préfecture de l’Isère table sur 700 à 800 000 personnes, soit plus que le Salon de l’agriculture à Paris et ses 630 000 visiteurs en 9 jours début 2019. Brosse et pavé de cire à la main, David Rivière, 38 ans, bichonne Phénomène, jeune Charolais de 7 mois et futur taureau reproducteur. Il lui fait « mousser le poil, pour faire peluche », espère « faire une plaque » (remporter un prix, ndlr) dans ce concours auquel il participe depuis sa création en 1996. Serge Bouyoud affiche un franc sourire et « 60 foires au compteur ». Venu à 15 ans comme apprenti, il vient maintenant seconder son fils Olivier qui a repris l’entreprise familiale de vente et réparation de machines agricoles et d’espaces verts. « Des clients deviennent des amis, on prend rendez-vous pour l’année suivante », raconte le retraité. « La Beaucroissant, c’est un pèlerinage ! »

Fille du déluge

De fait, l’histoire officielle relate que la foire est fille d’une terrible inondation au Moyen-Age et du pèlerinage des survivants. Dans la nuit du 14 septembre 1219, un lac naturel en amont de Grenoble se vidangea et noya 5 000 personnes dans ce qui fut nommé « le déluge de Grenoble ». L’année suivante, les rescapés partirent prier sur la colline de Parménie surplombant le village, résidence des évêques de Grenoble. La foule était dense et le rassemblement attira les marchands : la foire était née. Les pieds dans la paille, Alain Empereur, 77 ans, boit le café avec son ami Jean Vallier, 90 ans. Derrière les compères, 4 moutons et 4 chèvres, à vendre. « Ça fait 45 ans qu’on vient ensemble » depuis La Mure, un peu plus loin dans les Alpes. « Ici, ça vend ! Et souvent au prix de l’acheteur », rigole Alain Empereur, éleveur, transporteur de bêtes et conducteur occasionnel de car. « La brebis du fond, avec la tête noire, on m’en a donné 130 euros. À 80 je la laissais. Elle a 3 ans, ne se laisse pas monter, ne fera jamais de bébé ». Chez son nouveau propriétaire, « elle tondra la pelouse ou fera un bon couscous ». La foire pluri-centenaire est aussi « la seule occasion de prendre le temps avec les voisins », assure le fringant septuagénaire, ces « jeunes débordés de travail » qui font « coucou du haut de leur tracteur ».

La vache et le loup

La jeune génération a bien saisi l’occasion de « la 800e » pour interpeller politiques et représentants de l’État venus nombreux. « On veut interdire les produits phytosanitaires à proximité des maisons mais avec le Ceta (traité de libre échange avec le Canada) on va les mettre direct dans l’assiette ! », déplore Sébastien Poncet, président des Jeunes agriculteurs de l’Isère. Il aimerait être soutenu dans son travail avec les collectivités pour que la restauration collective « privilégie au moins la provenance « France » ». Il présente aussi son projet de fonds régional pour aider les vieux exploitants à louer à des jeunes qui veulent s’installer. Au stand voisin, un agriculteur défend avec verve « l’intérêt sociétal de la méthanisation », à la fois « revenu complémentaire », « valorisation des déchets » et outil de « l’autonomie énergétique du pays ». « Avant, les gens se battaient à la fin de la foire pour récupérer le fumier », se remémore Max Josserand, marchand de bestiaux et figure de la Beaucroissant avec ses 70 foires. « Maintenant, la vache est l’animal à détruire » en raison de son impact sur l’environnement, mais c’est « sa merde qui est mise dans les méthaniseurs ». Face aux difficultés, la passion l’emporte encore parfois. Max a vendu une génisse de la race Herens à une bande de copains qui vont l’offrir à un camarade de 18 ans s’installant dans le Vercors. Une zone où sévit le loup. Mais, assure le négociant, « les Herens sont connues pour oser lui faire face ».