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Bretagne

La difficile renaissance du bocage breton


AFP le 06/07/2019 à 17:55

Arrachées à partir des années 60 et désormais vantées pour leurs multiples bienfaits écologiques, les haies bocagères font l'objet d'actions très volontaristes de replantation. Mais elles peinent toujours à reprendre racine dans les campagnes bretonnes.

« Encore un super talus ! », s’enthousiasme Thierry Guehenneuc, au volant de sa fourgonnette blanche. Pour ce technicien agri-forestier, replanter des haies, avec ou sans talus, relève à la fois du métier et de la passion. Depuis la fin des années 90, il estime avoir participé à planter au moins 900 000 arbres, notamment avec le collectif d’agriculteurs Terres et Bocages. « Mais plus que le nombre, c’est de savoir ce qu’ils deviennent qui m’importe », assure-t-il. Doué de multiples vertus, « l’arbre est un couteau suisse », pointe Laurence Ligneau, chargée de mission énergie climat à la chambre d’agriculture de Bretagne : « il atténue le risque de gel ou de trop forte chaleur, limite l’érosion, stocke le carbone, fournit des énergies ou des matériaux renouvelables, est un refuge de biodiversité… »

L’arbre, pourtant, a presque disparu de beaucoup de campagnes françaises, sous l’effet du remembrement et de la mécanisation de l’agriculture. Pour former des champs plus grands accessibles aux tracteurs, des arbres ont été arrachés par milliers, parfois contre l’avis de la population. Selon certaines estimations, près de 70 % des haies présentes en France à l’apogée du bocage, au XIXe siècle, ont été détruites, soit environ 1,4 million de km. Symbole d’une société rurale formée d’une multitude de petites fermes, la haie n’a pas survécu à l’agriculture intensive et mécanisée. L’érosion des sols, la disparition des oiseaux des champs ou le réchauffement climatique l’ont remis au goût du jour. L’hiver dernier, les membres Terre et bocages ont ainsi planté 14 000 arbres.

Chant des oiseaux

Mais « y en a plein qui ne comprennent pas : pour eux, c’est du boulot à tailler, ils ne veulent pas s’emmerder avec ça », confie Guillaume Robin. Éleveur de 36 ans, en conversion bio à Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor), il a planté des arbres en bordure de ses champs pour faire de l’ombre à ses 60 vaches laitières. Mais aussi pour « le paysage, la biodiversité, pour entendre les oiseaux ». Le chant des oiseaux, c’est aussi la première chose que souligne Alain Quéro, éleveur laitier de 56 ans (en arrêt maladie) à Saint-Barnabé. « Avant y avait plus d’arbres, j’entendais pas un moineau », dit-il. Aujourd’hui, c’est un véritable concert de gazouillements qui accueille le visiteur. Il faut dire qu’Alain Quéro a replanté dès les années 90 sur l’ancienne exploitation de ses parents et dispose aujourd’hui de 1 500 mètres de haies épaisses, idéales pour la nidification. « Ça coupe le vent, les rendements ne sont pas moins bons, les insectes qui mangent les pucerons ont un abri et je commence même à avoir du bois pour me chauffer », énumère-t-il. Avec 90 membres, Terres et Bocages aide les agriculteurs qui le souhaitent au cours de chantiers participatifs de plantations. L’implication financière et physique du paysan est importante car elle garantit que la haie sera bien entretenue sur le long terme, souligne Thierry Guehenneuc.

Pour améliorer la qualité de l’eau, la région Bretagne, avec l’aide de l’Europe, a elle lancé l’opération Breizh Bocage et financé 3 500 km de haies pour plus de 20 millions d’euros sur la période 2007-2013. Pour l’agriculteur, tout est gratuit ou presque et il n’a pas à participer aux plantations. Malgré cela, « la régression du bocage se poursuit : on continue à perdre des haies », reconnaît Pascal Renault, chargé des politiques agri-environnementales à la région, qui évoque un bilan « quand même positif ». Comme un peu partout en France, les haies ne résistent pas à l’agrandissement incessant des exploitations agricoles. L’action de Terres et bocages « est un objectif dont on peut s’inspirer », note Pascal Renault qui salue un « exemple assez innovant ». Reste à savoir si la haie peut trouver sa place dans un système agricole productiviste. « Les haies, ça avait une logique dans l’agriculture du XIXe siècle. Il faut retrouver un rapport à l’arbre dans le cadre de l’agriculture mécanisée », estime Thierry Guehenneuc.