Accéder au contenu principal
Académie d'agriculture de France

Histoire et prospective des systèmes alimentaires : la cinquième transition


Jean-Louis RASTOIN, Membre de l'Académie d'Agriculture de France le 17/10/2019 à 06:13
AAF-620x186

(©AAF)

L'humanité a vécu 5 transitions alimentaires depuis l'utilisation du feu, avec une accélération des changements tant technologiques et économiques que sociaux et culturels. Connaître ces changements permet de comprendre le présent et imaginer l'avenir.

Aujourd’hui, les Hommes se trouvent au tournant entre la période agro-industrielle et un nouveau modèle en gestation : les systèmes alimentaires territorialisés, dans un objectif de développement durable.

Les 5 transitions alimentaires

Première transition : à partir de l’utilisation du feu par les ancêtres de l’Homo Sapiens, passer du chaud au cuit est une véritable révolution.

Deuxième transition : lors de l’invention de l’agriculture et de l’élevage, il y a 12 000 ans, avec la maîtrise en partie des approvisionnements.

Troisième transition : correspond à l’essor des grandes cités, il y a 5 000 ans, avec la division de l’économie en 3 figures centrales : agriculteur, artisan et marchand.

Quatrième transition : celle des nouvelles énergies et de l’industrialisation de l’ensemble du système alimentaire au milieu du XIXe siècle. Cette étape se caractérise par un allongement important des filières agroalimentaires et par une réduction du temps consacré à la préparation et à la prise des repas.

Cinquième transition : peut être datée à la fin du XXe siècle pour les pays développés. Elle est marquée par une demande, de la part des consommateurs, de qualités nutritionnelle, environnementale, sociale et culturelle de l’alimentation. Cette demande entraine un changement du modèle de production et de distribution alimentaire.

On note une extraordinaire accélération du rythme des transitions en passant d’une échelle de temps mesurée en milliers d’années à moins d’un siècle et demi.

Le pourquoi et comment de la 5ème transition alimentaire

Le changement sociétal peut s’expliquer par l’épuisement d’un mode de vie de plus en plus industrialisé et de son impact négatif sur l’Homme et la nature. En effet ce modèle dominant, qui prévaut depuis la révolution industrielle, a permis l’amélioration de l’alimentation pour les habitants tout en supportant la forte croissance démographique. Cependant, aujourd’hui, ce modèle provoque des effets négatifs sur :

  • la santé des êtres vivants : 2 milliards de personnes sont en carences alimentaires tandis que 2 milliards sont suralimentés, avec des pathologies raccourcissant l’espérance de vie en bonne santé.
  • l’environnement : pollutions multiples amplifiées par le changement climatique.
  • l’économie : la concentration des entreprises et le partage inégal de la valeur ajoutée accélèrent l’exode rural, entraînant des problématiques liées à l’emploi.

Et demain : la prospective alimentaire

La prospective alimentaire peut être construite autour de deux scénarios : l’un table sur la continuité, l’autre sur la rupture. Le défi à l’horizon 2050 sera de nourrir durablement 9.8 milliards de personnes, avec moins de terres et d’eau et en prenant en compte les contraintes énergétiques, environnementales et de changement climatique.

Le premier scénario – au fil de l’eau – : voit généraliser le modèle agro-industriel avec de l’innovation produit et technologique pour améliorer la qualité des aliments et réduire les nuisances environnementales. Ce scénario se caractérise par de bonnes performances économiques et environnementales résultant d’effets d’envergure. Le nombre d’exploitations agricoles seraient divisées par 50 à 100 en 40 ans avec une domination par quelques dizaines de firmes mondiales, ce qui générerait des problèmes de chômage à l’échelle planétaire.

Le second scénario envisage des – ruptures de tendance – : à la fois dans la nature de la demande et dans l’organisation de l’offre alimentaire. Le système alimentaire est territorialisé, avec de petites et moyennes entreprises agroalimentaires proches d’exploitations agricoles familiales. Ce modèle n’est pas régressif, il s’appuie sur l’innovation de technologies adaptées aux petits formats d’entreprises et de l’organisation. Un tel système est plus dense en emplois, plus diversifié et à gouvernance plus participative que dans le scénario précédent. Cependant, il est confronté à plusieurs contraintes : un prix plus élevé des produits et une faible maîtrise des pollutions.

Alors, quel scénario ?

Compte tenu des inerties et des incertitudes pesant sur les politiques publiques, l’évolution la plus probable est une cohabitation entre les deux scénarios, avec une probabilité supérieure à l’extension du modèle agro-industriel à l’horizon 2050. Finalement, c’est de l’intensité de l’action collective en faveur d’une alimentation durable et responsable que dépendra la configuration future de nos systèmes alimentaires.

https://www.academie-agriculture.fr/

Pour approfondir le sujet consultez aussi