Accéder au contenu principal
Académie d'Agriculture de France

Des marchés agricoles internationaux très vulnérables


André NEVEU, membre de l'Académie d'Agriculture de France le 20/03/2023 à 12:27
fiches_Ble_et_mais

Le blé est actuellement plus compétitif que le maïs dans la fabrication d'aliments du bétail. (©Adobe Stock)

Le volume des échanges internationaux de produits agricoles est en croissance constante. Cette croissance est permise par l'augmentation de la production et par celle de la demande des consommateurs. Jusqu'à ce jour, et sauf courtes périodes de crise, ces marchés sont équilibrés, les prix assurant en permanence cet équilibre. Or un certain nombre d'indices font craindre qu'une période d'incertitude menace ces échanges et en particulier l'approvisionnement des pays lourdement déficitaires en céréales, sucre ou huiles.

La plupart des produits agricoles font l’objet d’échanges permanents entre pays producteurs et pays importateurs. Lors des transactions, les prix assurent l’équilibre entre l’offre et la demande, mais ces prix sont très volatils et largement imprévisibles. Certes, on observe bien des tendances longues : ainsi, après un demi-siècle de baisse au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les prix sont orientés à la hausse depuis le début du XXIe siècle, avec néanmoins des périodes de crises violentes mais de courte durée comme en 2007-2008 ou tout récemment en 2021-2022.

Des volumes échangés en croissance continue

Cette croissance est rapide. Par exemple, depuis 1961, les quantités de céréales vendues sur les marchés internationaux ont été multipliées par 8, ce qui est considérable.

Il en est de même pour la plupart des autres grandes productions. Certaines comme le soja ont même connu une expansion encore plus forte, car dopée par le développement des élevages industriels. De plus, au fil des années, de nouveaux produits se sont ajoutés : après les fruits de l’hémisphère Sud, les fleurs coupées du Kenya, de l’Éthiopie ou de la Colombie, les légumes du Sénégal ou du Burkina Faso, les plats tout préparés voyagent à leur tour à travers le monde.
La multiplication de ces échanges est favorisée par la baisse du coût des transports maritimes, routiers et aériens. En outre, la réduction progressive des droits de douane s’est accélérée depuis une quarantaine d’années, même si le protectionnisme a toujours tendance à renaître de ses cendres et à se renouveler sous d’autres formes, en particulier depuis deux ou trois ans.

Un équilibre réel mais précaire

La croissance des quantités de produits mises sur les marchés internationaux a permis aux consommateurs solvables de satisfaire l’ensemble de leurs besoins. Cette croissance doit impérativement se poursuivre, au moins pour les produits de base. Or elle est menacée de toutes parts :

  • La multiplication des dérèglements climatiques affecte les rendements des cultures qui stagnent et parfois baissent.
  • La croissance démographique reste élevée, voire très élevée, dans de nombreux pays africains ou asiatiques.
  • L’insécurité politique s’étend dans plusieurs régions du monde, ce qui est très mauvais pour la production agricole.

Certes, jusqu’ici, la croissance de la production a été plus rapide que celle de la population ; par exemple, la production de céréales a augmenté de 23 % en dix ans, soit deux fois plus que la population. Mais qu’en sera-t-il demain ?
En effet, la population mondiale devrait passer de huit à près de dix milliards de personnes avant la fin de ce siècle, soit une augmentation de 25 %. Ce sera donc deux milliards de consommateurs supplémentaires à nourrir. L’ensemble des pays devra donc investir massivement pour accroître les rendements des cultures au cours des prochaines années. Cela implique la poursuite de la recherche de variétés plus productives et la mobilisation des capitaux nécessaires à leur exploitation

Le rôle essentiel des grands pays exportateurs

Toutes les productions agricoles sont susceptibles d’être frappées par des crises, soit de surproduction, soit de déficit de production.
Lorsqu’il s’agit de productions non essentielles, c’est évidemment grave pour les agriculteurs concernés, mais relativement anodin pour les consommateurs. Par exemple, un gel des orangers en Floride, des difficultés pour fixer le prix du cacao en Côte d’Ivoire ou une baisse de la production de thé au Sri Lanka sont facilement compensés par d’autres pays producteurs et ne peuvent guère entraîner qu’une augmentation temporaire des prix sur les marchés.


Lorsqu’il s’agit de produits essentiels pour assurer l’alimentation des populations – comme les céréales, le sucre ou les oléagineux –, la situation est tout à fait différente. Prenons le cas des céréales, dont beaucoup de pays sont importateurs, et souvent de gros importateurs. La régularité des approvisionnements et la modération des prix sont nécessaires pour les gouvernements et les consommateurs. Or les exportateurs sont huit tout au plus : Canada, États-Unis, Argentine, Union européenne, pays de la mer Noire (Russie, Ukraine et Kazakhstan) et Australie.
Si l’un d’entre eux vient à faire défaut, aucun autre pays ne peut prendre la relève, au moins dans l’immédiat. En effet, pour produire des céréales, il faut beaucoup d’espace, un climat relativement tempéré (au moins pour le blé et l’orge) et un minimum de pluviométrie pendant la période de culture.

Beaucoup de pays ne remplissent pas ces conditions, ou seulement de manière partielle, ils sont donc dépendants des importations et évidemment fortement pénalisés économiquement. Ainsi l’Égypte, très déficitaire en céréales, était jusque-là un gros importateur de blé ukrainien. Le gouvernement égyptien a donc dû, en urgence, trouver de nouveaux fournisseurs, mais au prix fort, ce qui grève lourdement ses finances. Or il subventionne les boulangers pour qu’ils mettent à la disposition des consommateurs pauvres du pain à un prix très modique. Pourra-t-il continuer ainsi longtemps, sachant qu’il a été contraint de dévaluer sa monnaie trois fois en un an ?