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Chez Manitou Group à Ancenis, l’affaire de famille qui a conquis le monde


TNC le 07/03/2025 à 18:00
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L'usine d'Ancenis de Manitou s'étend sur 33 hectares dont 10 couverts. (© TNC)

Le leader mondial de la manutention nous a ouvert les portes de son usine historique en Loire-Atlantique, là où tout a démarré il y a 80 ans, sous l’impulsion d’une maman pleine de courage et d’un fils ingénieux.

C’est un temps où les Américains, alliés fidèles et commerçants avisés, aidaient à reconstruire une Europe ravagée par la Seconde Guerre mondiale à coups de milliards de dollars et de machines rutilantes. Un de ces engins, un McCormick, est à l’origine d’un empire. En 1958, à Ancenis (Loire-Atlantique), Marcel Braud l’équipe d’un mât à l’arrière, inverse les commandes hydrauliques, le siège et le volant, et créé le MC 5, le premier chariot élévateur sur tracteur.

Un brainstorming en famille plus tard, le nom de l’innovation (qui deviendra celui de l’entreprise en 1981) est trouvé : Manitou, celui qui manie tout, tout simplement. « Les marques aimaient annoncer la couleur. Un de nos concurrents s’appelait Omfort », sourit Jean-Philippe Hérel, responsable marketing France.

Le tout premier chariot élévateur sur tracteur, le MC 5, construit sur une base de tracteur McCormick. (© Terre-net Média)

La saga de Manitou Group commence quelques années plus tôt, tragiquement, le 5 août 1944. Le père de Marcel, résistant, meurt, à quelques mètres de la maison familiale d’Ancenis, les armes à la main et un projet en poche. Il comptait démarrer une affaire de mécanique après la Libération. Sa femme, Andrée, reprend avec courage le flambeau et créé « Braud Mécanique Générale ». La société fabrique des grues, des bétonnières et des presses à béton, à une époque où les parpaings étaient encore faits directement sur les chantiers.

Après des études techniques, Marcel Braud intègre l’entreprise familiale en 1953, qui s’appelle alors Braud & Faucheux, du nom d’un associé du moment, Henri Faucheux. Pas de passe-droit pour le fils de la patronne : « J’ai dû satisfaire à tous les travaux pratiques. J’ai fait tous les métiers, passant de la soudure au montage, au chargement, à l’installation chez les clients, l’administration », confiait-il en 2003 au journal Le Télégramme.

Au départ, l’entreprise, appelée alors Braud Mécanique Générale, fabriquait des grues, des bétonnières et des presses à béton. Elle était dirigée par Andrée Braud, ici à la foire de Nantes. (© Manitou)

À bientôt 93 ans, Marcel Braud garde toujours un œil sur son bébé. « Il passe encore, généralement le mardi. Quand je le vois, il m’appelle par mon prénom. Il en impose encore et reste très charismatique, avec une grande empathie. C’est une entreprise attachante, à son image », raconte Jean-Philippe Hérel. Une histoire de famille, depuis le début et aujourd’hui encore : Jacqueline Himsworth, la sœur de Marcel, dirige le Conseil d’administration.

Ce charisme et cette ambition ont depuis toujours poussé Marcel Braud à voir loin, comme ce partenariat de distribution signé avec Toyota dès 1972, qui durera jusqu’en 2012. Une alliance qui a laissé des traces. Dans l’usine d’Ancenis, l’une des 10 du groupe, qui s’étend sur 33 hectares dont 10 couverts pour 2 100 employés (dont 900 liés au siège de Manitou Group), chaque aspirateur, chaque outil, tout est à sa place, identifié et étiqueté.

Le MC 5 a vite trouvé sa place sur les chantiers. (© Manitou)

« Le système de production de Toyota, c’est la référence dans l’industrie. Cela nous a fait progresser, reconnaît Jean-Philippe Hérel. Dans la même idée, Marcel Braud avait contacté IH dès 1962 pour bénéficier de transmissions avec inverseur efficaces. Il avait le nez pour s’entourer des meilleurs ».

Du nez et des idées. En 1982, le Maniscopic, le premier télescopique, voit le jour. Dans l’agricole (29 % du chiffre d’affaires aujourd’hui), la révolution arrive en 1989, avec le MLT 626, ses quatre roues de même taille, motrices et directrices, son angle de déversement poussé à 140° et son moteur de 80 ch, un monstre pour l’époque. Autres grandes dates : le premier Manitou télescopique rotatif en 1993, la nacelle tout-terrain Maniaccess en 1998 et le rachat de Gehl en 2008, qui ouvre en grand les portes du marché américain.

Près de 400 modèles à la gamme

L’usine d’Ancenis abrite la fabrication des moyennes et grandes hauteurs (les compacts sont conçus à Laillé en Ille-et-Vilaine). « Nous avons gardé en interne toute la structure de la machine, le châssis et la flèche. C’est de la mécano-soudure intense, nous ne sous-traitons pas ça », insiste Jean-Philippe Hérel. La ligne de fabrication des tubes fait une centaine de mètres de long. « Nous disposons de pièces de rechange pour tous les équipements de production afin de garantir un taux de disponibilité maximal ».

La famille Braud est au cœur de l’histoire de Manitou : Marcel est au centre, entouré à gauche de sa soeur Jacqueline (aujourd’hui à la tête du Conseil d’administration), sa mère Andrée et son fils Marcel-Claude au volant. (© Manitou)

Tout part de la tôle, essentiellement approvisionnée par le suédois SSAB. Chaque intervention est détaillée et analysée : « Le pliage, par exemple, ça paraît simple, mais un écart au départ devient vite problématique ». Les tubes agencés remontent la ligne vers les 4 travées de soudure. Chaque année, 700 tonnes de fil sont utilisées. Pour pallier les déformations causées par la chaleur, tout est réusiné à la fin.

L’usine produit au fil des commandes pour limiter les stocks. Sur la ligne d’assemblage des flèches, aucune ne se ressemble : « Notre grande force, c’est d’avoir près de 400 modèles à la gamme. C’est aussi notre challenge : il n’y a jamais de grandes séries ». D’autant qu’Ancenis irrigue le monde et des marchés spécifiques. Un autocollant « 20 » collé à l’arrière d’une cabine ? « C’est certainement pour l’Allemagne ». Un moteur non-homologué Stage V ? « C’est peut-être pour l’armée, qui veut des moteurs polyvalents qui s’adaptent à tous les théâtres d’opérations ».

Le MLT 626, chargeur dédié au monde agricole, a vu le jour en 1989. (© Terre-net Média)

Forcément, aux postes d’assemblage, les kits de montage sont soigneusement calibrés : c’est un peu comme chez Ikea, s’il reste une pièce à la fin, c’est qu’il y a un problème. Un bureau des affaires spéciales intervient pour les demandes sur mesure, par exemple un agriculteur privé de sa main droite pour lequel il a fallu inverser le poste de commande.

L’usine ne cesse d’évoluer pour rester à la pointe. Une tradition : « Quand je suis arrivé en 1989, il y avait une Bystronic, une machine suisse de découpe laser à plat, la première dans tout l’Ouest. Il y avait aussi déjà des robots de soudure », se souvient Jean-Philippe Hérel. L’espace peinture sera, d’ici deux ans, rénové. L’outillage change aussi : les visseuses pneumatiques laissent par exemple la place à l’électrique. « Serrer à un couple précis, c’est plus compliqué que l’on croit ! »

Bientôt des exportations… en cargo à voile

Les composants se développent au gré des normes. Devant un échappement moderne, Jean-Philippe Hérel constate le chemin parcouru : « Avant, c’était 3 chicanes et un bout de tube. Maintenant, il y a même un calculateur dessus. C’est une des raisons de l’augmentation des prix. Mais c’est aussi moins de pollution ».

(© Terre-net Média)

Le dernier poste de contrôle est sur-éclairé pour traquer les défauts. Toutes les machines sont ensuite testées en intérieur et à l’extérieur pendant 3 heures, le temps d’examiner 250 points de contrôle. Place ensuite aux finitions, les autocollants, tapis de sol… « C’est le seul endroit de l’usine où l’on peut voir des gens avec des pinceaux », sourit Franck Lethorey, responsable communication externe. Un dernier contrôle qualité puis c’est l’expédition, vers 140 pays, ou direction les 35 concessionnaires du réseau hexagonal. La France reste le marché le plus important, avec 19 % du chiffre d’affaires, talonnée par les USA.

Les envois vers les États-Unis se feront d’ailleurs bientôt par… cargo à voile. La compagnie Neoline, basée à Saint-Nazaire, effectuera sa première traversée transatlantique vers Baltimore fin juillet avec des Manitou dans la cale ! Un clin d’œil aux McCormick du Plan Marshall qui, au siècle dernier, ont fait le voyage en sens inverse et sans lesquels rien n’aurait été possible.